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Traite d’êtres humains dans la pornographie : l’Europe doit ouvrir les yeux

Traite d’êtres humains et pornographie

Par Priscille Kulczyk27 Juin 2023
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Alors que le Parlement européen s’apprête à voter une révision de la directive européenne relative à la traite des êtres humains, Priscille Kulczyk, chercheur associé au Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), s’inquiète de la disparition de toute référence à la pornographie dans la version actuelle de ce texte.

Tribune parue dans Le Figaro Vox le 22 juin 2023.

 

Le Parlement européen travaille sur une nouvelle révision de l’instrument de référence pour lutter contre la traite des êtres humains en Europe. En 2002, ce texte demandait aux États de punir les infractions liées à la traite aux fins d’« exploitation de la prostitution d’autrui et d’autres formes d’exploitation sexuelle, y compris pour la pornographie ». En 2011, il a été remplacé par une directive européenne. La référence à la pornographie a alors été supprimée, comme si la traite de femmes et d’enfants n’alimentait plus la pornographie en Europe.

Une révision de cette directive est actuellement soumise à l’examen du Parlement européen. Ce dernier devrait en profiter pour réintégrer une mention explicite de l’exploitation sexuelle pour la pornographie. Cela s’avère nécessaire car ce phénomène est loin d’être marginal, comme le montrent de récentes affaires dans lesquelles des dizaines de victimes de la traite poursuivent ou ont déjà fait condamner ceux qui les ont exploitées pour la production de contenus pornographiques.

Pornographie et traite des êtres humains, un mariage malheureux

Ce type d’exploitation sexuelle est une forme de traite des êtres humains relativement peu connue mais non moins répandue : la presse s’en fait d’ailleurs régulièrement l’écho. En septembre 2022, le Sénat français a également publié un rapport d’information au titre évocateur « Porno, l’enfer du décor » qui dénonce les dérives dans les pratiques de l’industrie pornographique. D’autre part et de manière générale, l’offre et la demande pornographiques ayant fortement progressé durant la pandémie de covid-19, une augmentation de la traite en a résulté, ce qu’ont notamment constaté des organes des Nations unies.

La pornographie peut même être qualifiée de « plaque tournante » de la traite des êtres humains. D’une part, la pornographie est alimentée par la traite. Ainsi, en France, l’affaire « French Bukkake » concerne la cinquantaine de victimes de producteurs et acteurs pornographiques mis en examen notamment pour traite d’êtres humains aggravée. Ces jeunes femmes, pour la plupart vulnérables et financièrement dans le besoin, ont été rabattues par la ruse grâce au faux compte d’une jeune femme sur les réseaux sociaux, puis recrutées pour tourner des films X avec des pratiques violentes et humiliantes, parfois en ayant été droguées. De même, dans l’affaire « GirlsDoPorn », plusieurs personnes ont été accusées de trafic sexuel : des jeunes femmes ont répondu à une annonce de mannequinat mais, une fois arrivées sur place, elles ont été amenées à tourner des scènes pornographiques sous la menace de poursuites judiciaires, d’annulation de leur vol retour ou de publication d’extraits de vidéos déjà tournées. Certaines ont également été séquestrées. En juin 2022, c’est encore le fondateur du groupe Jacquie et Michel qui a été mis en examen pour traite d’êtres humains.

D’autre part, tel le revers de la médaille, la pornographie alimente également la traite car elle entretient des liens étroits avec la prostitution et le proxénétisme. Ils ont en commun la location de corps, contre de l’argent, pour satisfaire autrui. S’il est fréquent que les actrices pornographiques se prostituent ou l’aient fait par le passé, certaines pratiques s’approchent à la fois de la prostitution et de la pornographie. C’est le cas des « camgirls », qui proposent des actes sexuels par webcam interposée. Dans l’affaire « French Bukkake », il est intéressant de noter que des personnes mises en examen le sont aussi pour « proxénétisme aggravé ». En outre, il n’est pas rare que des consommateurs de pornographie s’adressent à des prostitués pour reproduire ce qu’ils ont vu à l’écran.

Pornographie et traite des êtres humains, un lien à réaffirmer au niveau européen

Il existe des textes émanant d’organisations internationales qui établissent expressément le lien entre la pornographie et la traite des êtres humains mais ils demeurent rares. Ainsi, devant les faits non-équivoques, il apparaît indispensable de réaffirmer également ce lien au niveau européen. Faire explicitement référence à l’exploitation sexuelle pour la pornographie est d’autant plus opportun que cela correspond pleinement aux objectifs fondant la révision de la directive sur la traite actuellement en projet. La Commission européenne s’inquiète en effet de l’augmentation des infractions commises ou facilitées au moyen des technologies de l’information et de la communication et de l’utilisation de ces dernières pour distribuer du matériel d’exploitation. Elle souhaite donc appréhender la dimension « en ligne » de la traite, de manière à plus généralement améliorer la protection, la prise en charge et la réinsertion des victimes.

Ainsi, les faits divers évoqués comme les témoignages de victimes prouvent qu’une mention explicite de l’exploitation sexuelle pour la pornographie est une impérieuse nécessité devant laquelle même les partisans d’une normalisation du « travail du sexe » devraient s’incliner. La révision de la directive européenne sur la traite des êtres humains offre donc aux députés européens une occasion en or pour lutter contre un tel crime qui profite à l’industrie pornographique. Au nom du respect de la dignité humaine et de l’égalité entre les femmes et les hommes, il est de leur devoir de saisir cette opportunité.

Non à la pornographie !
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