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Problèmes de frivolité à la Cour européenne des droits de l’homme

Frivolité à la Cour européenne

By Javier Borrego1488620340000
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Javier Borrego Borrego est ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme

 

  1. Une action et un commentaire

 

  • Une action

Dès que j’ai pris connaissance, le 3 novembre 2009, de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Lautsi c. Italie, adopté à l’unanimité par la Deuxième Section de la Cour européenne des Droits de l’Homme, j’ai immédiatement téléphoné à un ami de la Cour pour lui faire savoir ma stupéfaction quant à un arrêt ordonnant qu’un crucifix soit retiré d’un lieu public. Sa réponse fut la suivante : « Pour cet arrêt, ce sera comme pour les autres : l’affaire fera du bruit une semaine ou deux, puis le monde entier l’oubliera. Tu devrais t’y faire, Javier : d’ici quelques années, il n’y aura plus de crucifix en Europe. » Passant outre le respect du politiquement correct, j’écrivis un long article de presse à propos de l’arrêt susmentionné, que j’envoyai à la Cour.

Peu enthousiastes et politiquement corrects, les partisans dirent que la Cour n’accepterait jamais de réexaminer un cas après un arrêt rendu à l’unanimité de la Section. Mais de nombreuses personnes ont travaillé dur, et avec une requête bien rédigée, l’Italie demanda une nouvelle révision par la Grande Chambre, qui fut acceptée par la Cour.

Le jour de l’audition devant la Grande Chambre arriva, le 30 juin 2010. Jamais une affaire n’avait autant suscité l’intérêt du grand public : la salle d’audience de la Grande Chambre ne pouvant accueillir tout le monde, une salle plus grande a dû être préparée. Pour la première fois dans l’histoire de Strasbourg, vingt des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe, représentant la majeure partie de la population européenne, ont fait part de leur soutien à l’Italie sur cette affaire. Et en plus des deux parties au procès, une autre personne est intervenue au nom de certains États soutenant l’Italie, un célèbre professeur venu de New York, un juif s’adressant à la Cour avec sa kippa sur la tête. Il est important d’ajouter que, lors de cette audition devant la Grande Chambre, aucune organisation ne soutenait la requérante.

  • Un commentaire

 Au moment où j’écris ces mots, le jugement de la Grande Chambre dans l’affaire des crucifix n’a pas encore été rendu[1]. D’expérience, je dirais que la décision de la Grande Chambre révoquera l’arrêt rendu par la Seconde Section. Mais dans le cas présent, je pense que le résultat le plus important est la réaction suscitée par le jugement rendu dans l’affaire Lautsi, une merveilleuse réaction qui a uni de nombreuses personnes et fait écho aux quatre coins du monde, même les plus lointains. Cette réaction, remarquablement retentissante, a surpris les gens qui ne l’attendaient pas, habitués à notre acceptation docile de tout,  avec quelques protestations politiquement correctes.

Comme dans le conte d’Hans Christian Andersen, nous nous sommes cette fois comportés comme l’enfant qui, loin de trembler de peur devant la majesté du roi, cria courageusement la vérité : « Le Roi n’a pas de vêtements ! » Et si nous avons réagi ainsi dans l’affaire des crucifix, en raison de la gravité de l’interprétation de la Cour européenne des Droits de l’Homme, nous pouvons le faire dans de nombreux autres cas.

 

  1. Problèmes de frivolité à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Explication du titre

 

2.1.   La Cour européenne des Droits de l’Homme

La Cour a été créée par la Convention européenne des Droits de l’Homme, signée à Rome le 4 novembre 1950. En 1949, l’horreur et la barbarie de la Seconde Guerre mondiale ont inspiré la formation du Conseil de l’Europe « afin notamment de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun ». Et dans cet esprit, l’année suivante, un groupe d’Européens, à qui nous devons toujours être reconnaissants, a été en mesure d’approuver la Convention européenne des Droits de l’Homme, née d’une « conception commune et d’un respect commun » de tels droits,  pour instituer une Cour « afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses Protocoles ». (Article 1, Titre II) 

Étant donné son origine novatrice, la Convention a, jusqu’en 1998, institué un système complexe pour la protection des droits de l’homme par lequel un individu soumis à la juridiction d’un État membre peut déposer une requête devant une organisation internationale. Le système judiciaire était constitué de trois organes de direction : une Commission, jouant le rôle d’organe « filtrant », et deux organes décisionnels, que sont le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, un organe politique assumant les fonctions méta judiciaires, et la Cour. Ni la Commission ni la Cour n’étaient des organes permanents. En 1998, suite au Protocole 11, le système changea. Il est aujourd’hui constitué d’un unique organe permanent, la Cour. La Cour compte un juge pour chaque Partie contractante à la Convention, élu par l’Assemblée Parlementaire à partir d’une petite liste de candidats proposés par les États membres.

Il est intéressant de noter d’où viennent ces 47 juges : 9 sont avocats, 11 viennent de l’arène judiciaire, et 27 sont professeurs, presque tous professeurs de droit constitutionnel. Cela signifie que plus de la moitié de la Cour est constituée de professeurs, personnes manquant généralement d’expérience dans les cours. Et de mon expérience à la Cour, cela se ressent de manière évidente dans les délibérations et dans le résultat de certaines décisions judiciaires. Bien sûr, il y a des professeurs à la Cour qui sont de brillants juges, mais de manière générale, les professeurs devenus juges sont prédisposés à l’abstraction et à des solutions qui heurtent parfois la réalité de plein fouet.

La Cour européenne des Droits de l’Homme est une institution extrêmement importante. Mais, comme le dit la Cour elle-même, « l’action des cours comme garants de la justice, dont la mission est fondamentale dans un État de droit, doit par nécessité avoir la confiance du public ». Les cours ont cette confiance lorsque, dans l’accomplissement de leurs fonctions, elles appliquent la norme abstraite au cas concret. Mais si la frivolité entre dans la Cour, et qu’au lieu d’appliquer la norme, elle la créé, le public perd confiance en les cours, même en la Cour européenne. Ce n’est pas une réflexion uniquement personnelle. Dans son arrêt Muñoz Diaz du 8 décembre 2009, la Cour européenne a observé que la Convention avait été violée. L’État n’a en effet pas reconnu la valeur légale d’un mariage contracté sous des rites gitans. Le juge Myjer a rédigé une opinion dissidente : « Cependant, la compétence de la Cour ne va pas jusqu’à créer des droits qui ne sont pas énumérés dans la Convention, aussi utiles ou même souhaitables soient-ils. » Et il conclut : « Si la Cour interprétait la Convention de la sorte, elle en viendrait à perdre toute crédibilité en tant que juridiction aux yeux des États contractants ».

 

2.2.   La frivolité

 La frivolité est désinvolture, manque de réalité, contraire à la sagesse et à la prudence : en bref, elle est à l’opposé des caractéristiques que doit posséder une cour de justice.

Voici une anecdote qui, je trouve, illustre bien mes propos : à Strasbourg, --- un froid matin de mars 2006. Après avoir entendu frapper légèrement, la porte de mon cabinet s’ouvrit et un collège s’approcha de mon bureau. Alors que je me levai, mon collègue, un juge de la Cour européenne des Droits de l’Homme, fixa du regard un papier que j’avais accroché au mur. « Qu’est-ce que c’est ? », me demanda-t-il. Je lui expliquai que c’était une échographie de mon petit-fils, le premier fils de ma fille, enceinte de quatre mois. Je lui montre la tête du nascitarus et lui dit en plaisantant qu’il ressemble à son grand-père.

Mon collègue devint soudain très sérieux et me dit d’un ton grave : « tu ne peux pas accrocher cela. Tu es un juge de la Cour européenne des Droits de l’Homme, et en affichant ainsi une échographie, tu montres que tu es contre l’avortement ». Le jour suivant, sur le mur de mon cabinet, trois échographies que ma fille m’avait envoyées étaient accrochées au mur sous l’inscription suivante, écrite en grand : « Mon petit-fils Javi, 4 mois ».

La frivolité se manifeste essentiellement, entre autres, envers la Convention européenne, à travers la méthode de révision et de jugement que je nomme « la méthode périphérique ». Toutes les grandes villes ont des routes ou des autoroutes (périphériques) qui permettent d’éviter les embouteillages en restant au dehors de l’agglomération. La méthode périphérique consiste à utiliser de manière frivole l’article 8, droit au respect de la vie privée et familiale, comme s’il s’agissait d’un périphérique que l’on peut emprunter afin de réviser et de statuer sur des affaires tout en évitant la difficulté inhérente au fait d’aller au cœur du problème et de réviser en profondeur les vrais droits concernés par le procès. 

2.3.   Problèmes

 Est un problème tout fait ou circonstance qui empêche d’aboutir de manière simple à une solution. Et lorsque nous rencontrons des problèmes, la première mesure à prendre consiste à les identifier, puis à réagir. Lautsi était, je l’espère et je le souhaite, un problème auquel il a été fait face pour atteindre les objectifs de la Convention. Le problème ayant été correctement identifié, l’excellente réaction à ce problème entraînera sa résolution. Il doit en être de même pour les cas examinés ci-après. Je me suis limité à l’examen de deux articles de la Convention, qui pour moi sont fondamentaux pour la Convention elle-même : le droit à la vie et le droit au mariage.

 

  1. Le droit à la vie

 L’Article 2 de la Convention établit que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ». Ce droit revêt une telle importance que, tandis que l’article 15 reconnaît la possibilité d’abroger certaines des obligations prévues par la Convention en cas de guerre ou d’autre danger public, la section 2 indique expressément que « la disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre... »   

Certains comportements récents de la Cour des Droits de l’Homme ont été imprudents en ce qui concerne ce droit de l’homme extrêmement essentiel. Pire, ils ont été frivoles. Et à deux points de vue : le début et la fin de la vie.

3.1.   L’avortement

 3.1.1.          L’affaire VO contre France, arrêt de la Cour du 8 juillet 2004 : suite à un acte tragique survenu dans un hôpital français, une femme d’origine vietnamienne, enceinte de six mois, a dû subir un avortement involontaire et forcé. Elle a fait l’objet, par erreur, d’un acte médical destiné à une autre patiente vietnamienne portant le même nom de famille, venue à l’hôpital pour se faire retirer son stérilet. La Cour européenne a traité la nature juridique de l’embryon, dans le cas présent avorté involontairement, avec prudence : « A ce jour, la Cour n’a pas encore tranché la question du commencement du droit ‘de toute personne à la vie’, au sens de cette disposition, ni celle de savoir si l’enfant à naître en est titulaire » (para. 75). Elle reconnaît le besoin d’un équilibre « au regard des dimensions juridiques, médicales, philosophiques, éthiques ou religieuses de la définition de la personne humaine ».

3.1.2.          Deux ans plus tard, la Cour révisait à nouveau un cas d’avortement, « D. c. l’Irlande ». Le 27 juin 2006, elle statue l’irrecevabilité car les voies de recours nationales n’ont pas été épuisées. Dans le cas présent, la femme, irlandaise, était enceinte de huit mois lorsqu’elle apprit que l’un des jumeaux qu’elle portait avait cessé de se développer et que l’autre présentait une anomalie chromosomique fatale. Elle se rendit en Grande-Bretagne pour avorter, car l’Irlande n’aurait autorisé l’avortement que si la grossesse représentait un risque vital pour elle.

Dans cet arrêt, la Cour persiste à traiter l’avortement avec prudence déclarant que la question « exige un équilibrage complexe et délicat de l’égalité des droits et une fine analyse des valeurs et des mœurs propres au pays. De plus, il s’agit précisément de l’interaction entre l’égalité du droit à la vie de la mère et de l’enfant à naître… » (§90).

L’avortement est resté une question difficile pour Strasbourg, une question abordée avec une extrême prudence et une conscience aigüe du fait que la question du droit à la vie du nascitarius est sensible. Et quelle est la solution pour que la décision soit rendue en faveur de l’avortement ? Éviter l’article 2 et la jurisprudence à ce sujet, et contourner le droit au respect de la vie privée, article 8. 

3.1.3.          Arrêt Tysiac c. Pologne, 20 mars 2007 : une citoyenne polonaise souffrant d’une forte myopie se dégradant suite aux naissances par césarienne de ses deux premiers enfants, se retrouva enceinte une troisième fois. Inquiète pour sa santé visuelle, elle décida de consulter des médecins spécialistes (conformément à la législation polonaise, l’avortement est légal si le spécialiste de la maladie en question certifie que la grossesse représente un risque sérieux pour la santé de la mère). Avant l’accouchement, cinq spécialistes (trois ophtalmologues, un gynécologue et un endocrinologue) ont déclaré qu’il n’y avait aucun risque. Après l’accouchement, les trois mêmes ophtalmologues, ainsi qu’un collège de trois médecins experts (un autre ophtalmologue, un gynécologue et un spécialiste de médecine légale), ont conclu que « les grossesses et accouchements n'avaient pas eu d'effet sur la détérioration de la vue de la requérante ». Contrairement à l’avis unanime des médecins spécialistes, un médecin généraliste, exerçant également en tant que gynécologue, ophtalmologue et psychiatre, s’est prononcé en faveur de l’avortement.

Cette affaire n’a pas été jugée sous l’angle du droit à la vie, fait indiscutable puisque l’enfant est né en l’an 2000. Au lieu de l’article 2, la Cour décida de juger l’affaire selon l’article 8, relatif au droit de Mme Tysiac à la vie privée. Et dans l’arrêt (que j’ai fortement contesté avec la seule opinion dissidente), la même Quatrième Section de la Cour qui, huit mois plus tôt, s’était montrée judicieusement prudente dans l’affaire D. c. Irlande, a décrété qu’en refusant l’avortement de Mme Tysiac, les autorités polonaises ont violé le droit à la vie privée de la requérante. Pour en arriver à cette conclusion, les six juges ont déclaré que les craintes de la requérante concernant sa santé n’étaient pas irrationnelles et constituaient une raison suffisante. En ce qui concerne l’avis unanime des médecins spécialistes, l’arrêt déclare que la législation polonaise sur l’avortement a eu un « effet dissuasif » sur les praticiens (§116). Je me souviens de la conclusion de mon opinion dissidente : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Aujourd'hui, la Cour a décidé qu'un être humain était né à la suite d'une violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Selon ce raisonnement, il existe un enfant polonais, âgé actuellement de six ans, dont le droit de naître va à l'encontre de la Convention. Je n'aurais jamais pensé que la Convention aille si loin, et je trouve cela effrayant. »

En plus de mon opinion dissidente, un autre juge a rédigé une opinion sur la décision, où il déclare qu’« En l'espèce, la Cour n'était ni saisie d'un droit abstrait à l'avortement ni d'un quelconque droit fondamental à l'avortement qui serait tapi quelque part dans la pénombre des marges de la Convention ». C’est une opinion pleine de bonnes intentions, mais la nouvelle législation espagnole du 3 mars 2010, qui aborde l’avortement comme un étant un droit, justifie la nécessité de cette norme en citant comme argument l’autorité de cet arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Tysiac. La réalité est que « les angélismes », les positions politiquement correctes du « chic type », que nous les catholiques nous présentons souvent avec peur de la critique de certains soi-disant, autoproclamés progressistes, ont toujours eu pour conséquence d’être nuisible aux valeurs et aux principes auxquels nous croyons.

Je ne regrette pas mon opinion dans l’affaire Tysiac. Parce que je n’oublierai jamais ce poème de Maiakovski : « La première nuit, / ils viennent et cueillent une fleur / de notre jardin, / et nous ne disons rien. / La seconde nuit / ils ne s’approchent plus sans bruit, / ils marchent sur nos fleurs, / tuent notre chien, / et nous ne disons rien. / Jusqu’au jour où / le plus faible d’entre eux / entre seul dans notre maison, / nous vole la lune, / et sachant que nous avons peur, / arrache notre voix de notre gorge. / Et parce que nous n’avions rien dit, / nous sommes à présent incapable de dire quoi que soit »[2].

3.1.4.          Les groupes pro-avortement sont retournés à Strasbourg pour présenter trois affaires concernant l’avortement : les affaires A., B. et C. c. l’Irlande. A. est une femme célibataire, sans emploi et dans le dénuement. Elle est tombée enceinte « par accident, persuadée que son partenaire était stérile ». Elle avait quatre enfants et présentait des antécédents d’alcoolisme. B., une autre femme « tombée enceinte par accident ». Elle a subi un avortement au Royaume-Uni, et souffre, car, n’ayant pu le faire en Irlande, les démarches qu’elle a dû suivre étaient « inutilement coûteuses, compliquées et traumatisantes ». C., une femme souffrant d’un cancer, sous chimiothérapie, également « tombée enceinte par accident ». Elle a subi un avortement au Royaume-Uni, dans un état « de détresse émotionnelle et de peur pour sa santé ».

Et sur quoi se concentrent ces trois affaires ? Exclusivement sur l’article 8, le droit des requérantes au respect de leur vie privée.

L’affaire a fait l’objet d’une audience devant la Grande Chambre le 9 décembre 2009, et la décision rendue dans cette affaire reste inconnue à ce jour[3]

 

3.2.   Le suicide assisté

3.2.1.          Vers la fin de l’année 2001, un recours contre le Royaume-Uni a été déposé devant la Cour européenne. Mme Pretty, 43 ans, souffrait d’une maladie neurodégénérative progressive qui l’immobilisait à partir du cou, lui laissant toute sa raison et la laissant parfaitement à même de prendre des décisions. Elle souhaitait mettre fin à ses jours, mais étant donné sa condition physique, elle avait besoin de l’aide de son mari pour y parvenir. Les autorités du Royaume-Uni lui ont refusé le suicide assisté.

L’affaire a été révisée à la lumière du droit à la vie, article 2 de la Convention, et le 29 avril 2002, une décision unanime a été rendue. La Cour déclarait : « L'article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie. » (§39). Et elle exprime clairement dans le paragraphe 40 : « La Cour estime donc qu'il n'est pas possible de déduire de l'article 2 de la Convention un droit à mourir, que ce soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité publique. ». Le paragraphe 54 de l’arrêt expose : « […] l'article 2 de la Convention consacre d'abord et avant tout une prohibition du recours à la force ou de tout autre comportement susceptible de provoquer le décès d'un être humain, et il ne confère nullement à l'individu un droit à exiger de l'État qu'il permette ou facilite son décès. »

Mais… de quelle manière l’arrêt Pretty peut-il être contourné ? Avec la méthode périphérique, frivole : recourir à l’article 8, droit au respect de la vie privée, utilisé en tant que droit de l’homme « périphérique », qui permet à la Cour de réviser la cas de l’aide au suicide sans avoir à entrer dans la question du droit à la vie qui était si clairement interprété dans l’affaire Pretty.

3.2.2.          Un citoyen allemand a essayé de convaincre les autorités de santé de son pays de lui fournir des médicaments afin que sa femme, presque entièrement paralysée des suites d’un accident, puisse se suicider. Lorsque sa demande s’est vue refusée, sur le motif que les médicaments sont destinés à maintenir ou à prolonger la vie plutôt qu’à y mettre fin, la femme de M. Koch s’est rendue en Suisse, où elle a mis fin à ses jours avec l’aide de l’association Dignitas. L’affaire a été présentée devant la Cour comme une violation du droit de sa défunte femme à la vie privée et familiale étant donné qu’elle était dans l’incapacité d’exercer son droit à une mort digne, et parce que le requérant s’est vu dans l’obligation de se rendre en Suisse pour le suicide assisté de sa femme. En septembre 2009, la Cour a transmis aux autorités allemandes sa décision concernant le procès sous la lumière de l’article 8 de la Convention, sans jamais n’avoir formulé aucune question relative à l’article 2 de ladite Convention.

3.2.3.          Une autre affaire de suicide assisté a été traitée à l’aide de la méthode du droit de l’homme périphérique : M. Haas, citoyen suisse, présentant de sérieux troubles bipolaires, a demandé de l’aide à l’association Dignitas. Mais sans ordonnance médicale, les pharmacies ont refusé de lui délivrer les 15 grammes de pentobarbital de sodium dont Dignitas aurait besoin. Cette plainte a été rapportée aux autorités suisses en octobre 2008 en posant une seule question aux parties : « L’impossibilité pour le requérant d’obtenir une prescription médicale afin de se procurer du pentobarbital de sodium en vue de mettre fin à ses jours constitue-t-elle une violation de son droit à la vie privée en application de l’article 8 de la Convention ? » Rien, absolument rien à propos du droit à la vie de l’article 2 de la Convention.

Comment est-ce possible que sur le sujet du suicide assisté, la Cour européenne soit passée, en quelques années, de la clarté et de la force de l’affaire Pretty à la légèreté, et à mon sens, à la frivolité dont elle fait preuve dans les démarches de ces deux procès ? A présent, je pense qu’il est temps de tenir compte des conséquences résultant de ces utilisations frivoles de l’article 8 comme droit de l’homme périphérique et d’agir en conséquence.

 

3.3.   Le mariage

 L’article 12 de la Convention, le droit au mariage, établit que : « À partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. »

3.3.1.          Quant à la dernière partie de cet article, « selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit », la Cour européenne a récemment déclaré, le 8 décembre 2009, que l’Espagne a violé la Convention en refusant d’accorder une pension à une veuve gitane qui n’avait contracté mariage que selon les rites gitans (article 14, non-discrimination conjointement avec l’article 1 du protocole 1, droit à la propriété).

En septembre 2009, l’affaire Serife Yigit c. Turquie a été portée devant la Grande Chambre, où la Cour a tenu compte du refus des autorités turques de reconnaître les droits sociaux de la veuve découlant du décès de son compagnon, l’union ayant été uniquement contractée au cours d’une cérémonie religieuse officiée par un imam, et non au cours d’une cérémonie civile, telle que la loi turque le requiert. Le 20 janvier 2009, la Seconde Section, révisant l’affaire uniquement en vertu de l’article 8, droit au respect de la vie privée et familiale (encore une fois, la méthode « périphérique ») la Cour a statué, dans un jugement rendu à quatre contre trois, qu’il n’y avait pas violation dudit article 8. Fondée sur le précédent susmentionné, la Cour aura pu amender le travail effectué par Kemal Atatürk en Turquie.

3.3.2.          Quant au mariage homosexuel, il est utile de rappeler quelques récents arrêts de la Cour :

Arrêt de la Grande Chambre, E.B. c. France, 22 janvier 2008

Par dix voix contre sept, la Cour a statué sur la violation par la France de l’article 14 de la Convention, conjointement avec l’article 8, pour avoir refusé qu’une femme vivant en couple homosexuel accède à l’adoption. Le raisonnement de la majorité de la Cour est très curieux : dans sa situation, l’affaire ne devrait pas être révisée sous l’angle du droit à l’adoption. (Si cela avait été le cas, l’article qui aurait dû être révisé aurait été l’article 12.) Le point pertinent de cette affaire était la discrimination présumée subie par la requérante en raison de son homosexualité, puisqu’elle n’a pas été autorisée à adopter un enfant.

Burden et Burden c. Royaume-Uni, arrêt de la Grande Chambre, 29 avril 2008

Ayant vécu ensemble dans la même propriété depuis de nombreuses années, deux sœurs d’un âge avancé ont intenté un procès afin de bénéficier du même traitement fiscal que celui accordé aux couples homosexuels, conformément à l’Acte de partenariat civil de 2004 (« Civil Partnership Act »). Grâce à cet acte, la sœur survivante ne serait pas obligée de vendre la maison pour pouvoir payer les importants droits de succession. La Cour a rejeté la plainte sur le motif qu’un partenariat civil équivaut à un mariage et ne comporte pas d’autres types d’unions ou de relations de cohabitation. Cette décision a été prise à quinze contre deux. Dans son opinion dissidente, le juge Zupancic conclut en disant : « Si toutefois il décide d'appliquer l'exonération fiscale à une catégorie autre que celle des personnes mariées, il doit faire appel à un minimum de raison lorsqu'il choisit de ne pas l'étendre à d'autres groupes de personnes vivant dans le cadre d'une relation tout aussi étroite, voire plus étroite. J'estime qu'il est purement et simplement arbitraire de faire de la consanguinité un obstacle

Schalk et Kopf c. Autriche, arrêt du 24 juin 2010

Très récent, cet arrêt concernant la plainte déposée par deux hommes autrichiens qui ne pouvaient contracter mariage dans leur pays doit être exposé ici. Au départ, l’affaire a été examinée du point de vue de l’article 12, qui conclut que l’Autriche ne viole pas la Convention en refusant le mariage homosexuel. Mais après avoir cité l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice. ») au paragraphe 61, l’arrêt dit : « Dès lors, prenant en compte l’article 9 de la Charte, la Cour ne considère plus que le droit de se marier consacré par l’article 12 de la Convention doive en toutes circonstances se limiter au mariage entre deux personnes de sexe opposé. C’est pourquoi on ne saurait dire que l’article 12 ne s’applique pas au grief des requérants. » La porte est laissée ouverte à une interprétation de la formulation de l’article 12 en faveur du mariage homosexuel.

Mais l’affaire a également été examinée à la lumière de l’article 8, conjointement avec l’article 14. La Cour déclare ici que les couples homosexuels, en plus de leur droit au respect de leur vie privée, doivent également être considérés comme détenant le droit à la vie de famille (§95). Respectant la marge d’appréciation à quatre voix contre trois, la Cour a déclarée qu’il n’y avait pas violation de ces deux articles combinés. Dans l’opinion dissidente, la minorité a argumenté que la violation n’a pu être prouvée étant donné que les autorités autrichiennes n’ont pas donné d’explication convaincante de la raison pour laquelle ils n’ont pas étendu les droits et avantages du mariage hétérosexuel au mariage homosexuel.

 

  1. Conclusions

 

  1. Les temps ont changé. Les personnes attaquant les valeurs chrétiennes ne le font plus de manière directe, car elles savent que dans une lutte idéologique profonde et frontale, elles ne gagneront pas.
  2. De nos jours, les attaques au christianisme ne sont plus franches, elles sont plutôt menées par la frivolité du « contournement », afin d’éviter d’aller au cœur des valeurs chrétiennes. En contournant les valeurs et en attaquant superficiellement le problème grâce à la méthode périphérique, ils remportent le succès avec les médias, qui en parlent comme d’une défaite des valeurs chrétiennes. C’est ce qui se produit à la Cour européenne des droits de l’homme, dans le traitement de certains procès relatifs aux droits à la vie et au mariage. Ces requêtes sont discréditées en utilisant le droit à la vie privée comme un droit périphérique, comme une application frivole de la Convention.
  3. La frivolité est également présente dans d’autres organes de direction européens. Ainsi, au lieu que ce soit la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe qui étudie la question de l’objection de conscience des professionnels de santé prenant part aux avortements – comme pour l’objection de conscience analysée en 1967 et en 1977 dans le cadre du service militaire –, c’est la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille qui a rédigé un rapport intitulé « Accès des femmes à des soins médicaux légaux : problème du recours non réglementé à l’objection de conscience » (doc. 11757 renvoi 3516 du 26 janvier 2009). Sous la prétention d’aider les femmes, ce rapport sanctifie l’avortement et l’euthanasie comme étant des droits, et nie l’existence d’une objection de conscience. Mais fort heureusement, il y eut à Strasbourg une fabuleuse réaction courageuse, et ce rapport fut rejeté.
  4. Dans l’Évangile, Jésus dit que « les enfants des ténèbres sont plus astucieux que ceux de lumière ». A chaque fois que ceux qui veulent détruire les valeurs chrétiennes persistent dans leurs projets, mais en phase avec la frivolité qui règne dans la société actuelle, qu’ils recourent à des méthodes d’attaque détournées, nous devrions :
  5. Être conscients de la frivolité de ces nouvelles méthodes d’attaque détournées
  6. Réagir à ces méthodes, vivement et clairement, en déclarant à l’opposition que « le Roi n’a pas de vêtements ». Nous devons chercher et découvrir leurs pièges, et essayer d’être aussi astucieux et audacieux qu’eux, sans crainte ou complexe.
  7. Être proactif : la vérité rend libre. Courage !

 

 

[1] Jugement rendu le 18 mars 2011. La Cour a statué en faveur de l’Italie.

[2] Adaptation personnelle

[3] Jugement rendu le 16 décembre 2010. La Cour a statué en faveur de l’Irlande pour les deux premières requérantes, et statue sur la violation de l’article 8 et condamne l’Irlande à verser 15 000 € à la troisième.

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