«Profanation du Saint Coran»: les droits de l’homme au service de l’islam?
Il en va ainsi par exemple de l’artiste danoise née en Iran, Firoozeh Bazrafkan, qui, le 5 août 2023, a déchiqueté à la râpe à fromage un Coran devant l’ambassade d’Iran à Copenhague en protestation au régime théocratique iranien qui prive les femmes de leurs droits et libertés au nom de l’islam. Mérite-t-elle deux ans de prison dans un pays dit démocratique ?
« Déclaration de faillite », « à genoux devant l’islam », « jour honteux pour le Danemark », « Ils se réjouissent à Téhéran. Maintenant, c’est 1-0 pour les islamistes » : l’opposition n’a pas eu de mots assez rudes contre cette régressive “koranlov”, loi sur le Coran, finalement adoptée en troisième lecture par 94 des 179 membres du Parlement. Durant un débat houleux de plus de quatre heures, aucun membre du gouvernement danois ne s’est exprimé pour défendre la proposition de loi anti-blasphème, remise d’actualité pendant l’été 2023 dans un contexte de colère dans plusieurs pays musulmans.
Le Danemark et la Suède avaient été le théâtre d’une vague d’autodafés du livre saint de l’islam, s’attirant les foudres de l’Organisation de coopération islamique (OCI), avec notamment le saccage de l’ambassade de Suède à Bagdad et l’expulsion de l’ambassadrice. Si la Suède a tenu bon, le Danemark s’est résolu à reculer, non par respect de l’islam mais pour protéger son ordre public, sa sécurité nationale et ses intérêts économiques, diplomatiques et politiques. Le spectre de la résurgence de la tempête de violences antidanoises après la publication de caricatures de Mahomet en 2005 menaçait.
En réalité, comme l’explique Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), il se joue une véritable bataille juridique depuis la fin des années 1990 entre d’une part l’OCI, qui a introduit les notions d’islamophobie et de diffamation de l’islam puis de diffamation des religions pour en recommander la condamnation au titre du droit international, et d’autre part les pays occidentaux qui privilégient la liberté d’expression et s’opposent à l’infraction de blasphème au nom d’une contre-radicalisation libérale s’exprimant contre les religions traditionnelles.
En mai 2015, alors que l’attentat contre Charlie Hebdo à Paris, le 7 janvier précédent, a relancé le débat sur la question du délit de blasphème, la Commission européenne rappelle que la liberté d’expression, « qui revêt une importance capitale dans une société démocratique, ne doit pas reculer devant l’extrémisme » et qu’elle « peut inclure les critiques formulées à l’égard des religions, des idéologies, des croyances, des institutions, notamment sous forme satirique ».
Dans son rapport de 2023, la Commission américaine pour la liberté religieuse internationale dénonçait « ces lois [qui] violent la liberté de religion ou de croyance, y compris le droit d’exprimer toute une série de pensées et de croyances que d’autres pourraient juger blasphématoires ; elles violent également la liberté d’expression et encouragent l’intolérance et la discrimination à l’égard des minorités ».
À l’Organisation des Nations unies, l’influence numérique des 57 États membres de l’OCI à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme (CDH) leur permet de faire passer des résolutions ouvertement protectrices de l’islam, et ce malgré la résistance libérale des États occidentaux mais aussi celle des rapporteurs spéciaux et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies (HCDH).
À la suite de la profanation médiatique d’un Coran à Stockholm le 28 juin 2023, par un réfugié irakien opposé aux dérives des régimes islamiques, la délégation pakistanaise demande une réunion d’urgence au Conseil des Droits de l’Homme. De par la résolution qui en découle, adoptée le 12 juillet par 28 voix (essentiellement celles des États musulmans et de la Chine) contre 12 (celles des États de l’Union européenne et des États-Unis), avec 7 abstentions, le Conseil affirme qu’« il est offensant et irrespectueux de brûler délibérément et publiquement le Saint Coran ou tout autre livre saint dans l’intention d’inciter à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence et que cela constitue un acte de provocation manifeste et une manifestation de haine religieuse » et qu’« un tel acte doit être interdit par la loi, conformément aux obligations qui incombent aux États en vertu du droit international des droits de l’homme ».
Ainsi, le Conseil « condamne et rejette fermement tout appel à la haine religieuse et toute manifestation de haine religieuse, y compris les actes publics et prémédités de profanation du Saint Coran commis récemment » et demande aux États d’adopter une législation répressive en ce sens. Confondant un appel à la haine religieuse avec la liberté d’exprimer le rejet d’une religion, en l’espèce explicitement la religion islamique, le Conseil des droits de l’homme acte précisément le recul des droits de l’homme devant l’extrémisme religieux.
Pour le CDH, la défense de la sacralité d’une religion est supérieure à celle des droits des individus. Mais comment oser sacrifier des individus victimes de haine religieuse dans leur chair au profit de la protection d’un livre, aussi sacré soit-il ? Comment tolérer que, sous prétexte de profanation du coran, des centaines de Pakistanais musulmans extrémistes vandalisent 87 domiciles de chrétiens et 19 églises en août 2023 ?
L’OCI, plus prompte à défendre des Corans brûlés que le million de Ouïgours musulmans dans les prisons chinoises, se félicite de la résolution, ayant réussi à imposer son sacré à un Occident déchristianisé. Uniquement préoccupée par « la résurgence des mouvements racistes et de l’extrémisme de droite dans plusieurs régions du monde », elle a habilement poussé à l’établissement d’une Journée internationale de lutte contre l’islamophobie. Que dire alors des plus de 365 millions de chrétiens « fortement persécutés et discriminés » en raison de leur foi dans le monde en 2023, selon un rapport de l’ONG Portes ouvertes, et qui n’ont pas de “journée internationale de lutte contre la christianophobie” ?
Lors de la 55e session du Conseil des Droits de l’Homme en mars 2024, l’ECLJ dénoncera l’attitude du Pakistan qui fait mine de croire qu’il y a un problème systémique de Corans brûlés en Europe, alors que, chez lui, des dizaines de chrétiens sont dans le couloir de la mort pour des accusations de blasphème contre l’islam et que les islamistes qui attaquent des églises ainsi que des hommes et des femmes innocents ne sont pas inquiétés.
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L’ECLJ est titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations Unies / ECOSOC depuis 2007. L’ECLJ agit dans les domaines judiciaires, législatifs et culturels et défend en particulier le droit à la liberté religieuse, la vie et la dignité des personnes devant la Cour européenne des droits de l’homme et à travers les autres mécanismes offerts par les Nations-Unies, le Conseil de l’Europe, le Parlement européen et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
L'ECLJ fonde son action sur « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples européens et la véritable source de la liberté individuelle, de la liberté politique et de la prééminence du droit, principes qui sont à la base de toute démocratie véritable » (Préambule du Statut du Conseil de l'Europe).
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