Contenus inappropriés: l'UE veut agir
Le 7 juin 2023, la Commission européenne a publié sa Communication sur une approche globale en matière de santé mentale. Elle fait notamment suite à une consultation organisée par la Commission au début de l’année 2023 sur le thème de la santé mentale. Fidèle à son combat contre la pornographie, l’ECLJ y a participé en traitant des graves conséquences de la consommation de pornographie sur la santé mentale, en particulier sur celle des enfants et des jeunes. Nous n’étions pas les seuls car plusieurs organisations ont également évoqué cette question spécifique. Ainsi, si l’on peut regretter l’absence de référence explicite à la pornographie dans le document rédigé par la Commission, il faut néanmoins noter qu’elle prend en compte les dangers de l’utilisation des outils numériques pour la santé mentale de la jeunesse.
« Améliorer la santé mentale des enfants et des jeunes »
L’ECLJ se réjouit qu’« Améliorer la santé mentale des enfants et des jeunes » soit l’un des principaux objectifs affirmés par la Commission (p. 9 et s.). Celle-ci pose en effet plusieurs constats alarmants en ce qui concerne les jeunes citoyens de l’Union européenne : « L’Europe assiste à une détérioration de la santé mentale de ses jeunes générations », « La solitude, un facteur important déterminant le bien-être et la santé mentale, a atteint des niveaux alarmants. En 2022, une personne sur cinq âgée de 16 à 25 ans a déclaré se sentir seule la plupart du temps » ou encore « Les jeunes sont de plus en plus confrontés à l’anxiété, à la tristesse ou à la peur, à l’automutilation, à la faible estime de soi, au harcèlement et aux troubles alimentaires » (p. 9). La jeunesse est ainsi considérée comme un groupe vulnérable, sans parler des « enfants victimes d’exploitation sexuelle, d’autres crimes et abus [qui] sont particulièrement menacés » (p. 9). L’importance de la santé mentale des enfants et des jeunes est reconnue, eu égard notamment à ses répercussions potentielles au cours de leur vie future : « Dans certains cas, les enfants et les jeunes sont confrontés à des épreuves pendant certaines des années les plus vulnérables et les plus formatrices de leur vie, qui peuvent façonner leur santé et leur santé mentale tout au long de leur vie » (p. 9).
Affirmation d’un lien entre l’utilisation des outils numériques et les problèmes de santé mentale des jeunes
Les défis posés en matière de santé mentale par l’utilisation des outils numériques, spécialement chez les enfants et les jeunes[1], sont l’une des principales problématiques ressortant de la consultation organisée par la Commission. Cette dernière en a largement tenu compte et constate dès l’introduction que « Les tablettes et les smartphones, ainsi que les plateformes de médias sociaux et les applications de messagerie, font désormais partie intégrante de la vie des enfants et des adolescents, parfois au détriment de leur santé physique et mentale » (p. 2). Plus généralement, la Commission reconnaît que « Le domaine numérique, y compris sur le lieu de travail, comporte des risques psychosociaux qui touchent considérablement les personnes, les organisations et les économies » (p. 6).
En ce qui concerne la santé mentale des enfants et des jeunes, la Commission rappelle que les enfants peuvent être victimes de criminalité en ligne en affirmant qu’ils « sont touchés par différents déterminants environnementaux, sociaux, commerciaux interconnectés en matière de santé ainsi que par les conséquences des infractions en ligne telles que les abus sexuels sur enfants en ligne » (p. 9). Elle donne finalement une vision équilibrée et lucide de l’influence des outils numériques sur le jeune public : ceux-ci « peuvent avoir une incidence positive sur la santé mentale (par exemple, grâce à l’accès qu’ils donnent à des informations, groupes de soutien et services thérapeutiques), mais cette incidence peut également être négative. Il est nécessaire de progresser vers un espace numérique plus sûr et plus sain pour les enfants » (p. 10).
À titre de recommandation, « la Commission encourage les Etats membres (…) à examiner les liens entre les problèmes de santé mentale, les déterminants de la santé et l’utilisation d’outils numériques » et les invite « à faire des enfants un groupe cible prioritaire dans leurs stratégies nationales en matière de santé mentale » et à veiller à ce qu’ils « soient protégés contre (…) les effets négatifs de l’utilisation des services numériques » (p. 14).
Intérêt de la législation européenne sur les services numériques dans la prévention des problèmes liés à la santé mentale
Dans son avis adressé à la Commission européenne, l’ECLJ recommandait l’application effective par les Etats des réglementations régissant les services numériques, notamment le Règlement sur les services numériques adopté en octobre 2022 par l’UE. Ce texte peut en effet permettre d’intensifier la lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie, notamment en responsabilisant les « très grandes plateformes en ligne » (Google, Facebook etc).
L’ECLJ constate avec satisfaction qu’il est largement question de cette nouvelle législation européenne dans la présente Communication. La Commission y reconnaît l’existence de « certains risques systémiques découlant de la conception ou du fonctionnement des services et systèmes (…) désignés comme « très grandes plateformes en ligne » ou « très grands moteurs de recherche en ligne » » selon les termes du Règlement sur les services numériques, notamment en ce qu’ils « exploitent intentionnellement ou non les faiblesses et l’inexpérience des mineurs ou qui peuvent entraîner un comportement de dépendance » (p. 10). La Commission reconnaît la pertinence de ce texte en matière de protection de la santé mentale en affirmant qu’« Afin de prévenir les risques liés à l’utilisation des services numériques, notamment ceux liés à la santé mentale, le règlement sur les services numériques met en place un large éventail d’obligations de diligence applicables aux intermédiaires en ligne » (p. 4). Elle ajoute que « le règlement sur les services numériques reconnaît les risques spécifiques liés aux effets négatifs graves sur le bien-être physique et mental des personnes, ainsi que les conséquences sur le développement physique et mental des enfants susceptibles d’être causées par l’utilisation de ces plateformes. Les plus grandes plateformes et moteurs de recherche, c’est-à-dire ceux qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’Union, sont tenues d’évaluer les risques systémiques que leurs services représentent pour la santé mentale recensés et d’adopter des mesures pour atténuer les risques » (p. 5).
Absence de référence explicite aux dangers de la pornographie
L’ECLJ regrette toutefois que les dangers de la consommation de pornographie ne soient pas explicitement évoqués dans la communication elle-même, en particulier en ce qui concerne les jeunes qui ont de plus en plus massivement accès à de tels contenus, que cela soit accidentel ou non. Or les conséquences néfastes sur leur santé mentale sont avérées et préoccupantes et ont été dénoncées par plusieurs organisations ayant participé à la consultation.
La Commission se contente d’affirmer, en ce qui concerne les enfants et les jeunes, qu’ « Il s’agit notamment de: les protéger contre les contenus inappropriés, (…) encourager une utilisation prudente des médias sociaux et de lutter contre les abus sexuels sur enfants en ligne, (…) avec des garanties contre (…) le temps d’écran excessif (…) ; de promouvoir une utilisation équilibrée des jeux, ce qui contribue à prévenir une utilisation compulsive et les effets négatifs sur la vie quotidienne » (p. 10). Si l’on peut toutefois croire que la pornographie se trouve englobée dans les expressions « contenus inappropriés » (p. 10) et « contenus perturbants » (p. 11), on peut regretter qu’elle ne fasse pas l’objet d’une mention plus explicite : en effet, ce qui va sans dire va parfois mieux en le disant.
Il faut toutefois noter que le rapport de synthèse de la communication contient une référence expresse à la pornographie qui figure parmi les effets nocifs des médias sociaux contre lesquels il faut protéger le groupe à risque que constituent les enfants et adolescents (p. 6).
Nécessité de la prévention et de la détection des signes précurseurs
La Commission affirme la nécessité de la prévention en matière de santé mentale et de la détection des signes précurseurs : « La recherche doit être renforcée dans ce domaine afin de mieux reconnaître les signaux préoccupants à un stade précoce » (p. 6). Cela résonne de manière particulière en ce qui concerne les enfants et les adolescents face aux dangers de la consommation de pornographie, dont les conséquences, parfois analogues à celles d’un abus sexuel, sont graves : addiction, symptômes dépressifs, intégration sociale réduite, complexes, vision déformée de la sexualité, comportements sexuels risqués, violence entre jeunes etc.
Ainsi, « Une intervention précoce peut garantir d’apporter un soutien au bon moment et prévenir une nouvelle détérioration du bien-être et de la santé mentale, en particulier chez les jeunes. Par exemple, une intervention précoce peut être cruciale pour reconnaître et traiter les facteurs de risque et les signes de différentes formes de détresse » (p. 7). Concernant en particulier les enfants et les jeunes, il est affirmé que « La prévention et les interventions précoces des professionnels en contact avec les enfants, tels que les enseignants, peuvent favoriser la résilience des enfants et des jeunes en matière de santé mentale et atténuer les préjudices potentiels, notamment en leur donnant la parole » (p. 11).
La Commission annonce vouloir agir dans ce domaine par le biais de plusieurs initiatives qu’il sera opportun de suivre. Elle indique ainsi vouloir lancer « en 2023, un appel aux États membres et aux parties prenantes pour qu’ils présentent leurs bonnes pratiques en ce qui concerne la promotion, la prévention, la détection précoce et l’intervention précoce en matière de santé mentale, par l’intermédiaire du portail européen des meilleures pratiques » ; elle annonce encore vouloir soutenir « l’élaboration d’orientations sur la détection et l’intervention précoces et le dépistage des groupes vulnérables dans des environnements clés à piloter par les États membres. La Commission intensifiera également la recherche sur le cerveau grâce au lancement de nouveaux projets, notamment en utilisant des données de santé numériques et des infrastructures de calcul et de simulation » (p. 7).
Santé mentale et traite des êtres humains
Dans sa Communication, la Commission aborde le lien entre santé mentale et traite des êtres humains en affirmant que « Les violences physiques et sexuelles et les menaces subies par les victimes de la traite des êtres humains ont des conséquences à long terme sur la santé mentale » (p. 16). Alors que ce point de vue n’a pas été abordé dans l’avis adressé à la Commission par l’ECLJ, ce dernier se réjouit d’autant plus puisque cela conforte son engagement dans la lutte contre les conséquences néfastes de la pornographie. En effet, la pornographie peut être considérée comme une « plaque tournante » de la traite des êtres humains. Il n’est en outre par rare que les personnes mises en scène dans la pornographie aient une santé mentale altérée[2].
Dans ce contexte, la Commission européenne fait également référence à la Directive européenne du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, en rappelant que ce texte « reconnaît les besoins particuliers des victimes souffrant de problèmes de santé mentale et fournit des services de santé spécialisés ainsi qu’une aide à long terme au rétablissement et à la réhabilitation » (p. 16). En cela, il est important de préciser que la révision de cette directive est actuellement en projet : comme l’a tout récemment rappelé l’ECLJ, il est donc grand temps de prendre en compte les dommages, notamment sur la santé mentale, résultant de l’exploitation sexuelle pour la pornographie en réintégrant dans ce texte la référence explicite à ce type d’exploitation présente dans la décision-cadre de 2002 remplacée par cette directive.
___________
[1] Call for evidence for Commission communication on a comprehensive approach to mental health, Factual summary report, 3.1.4 : https://health.ec.europa.eu/system/files/2023-06/ncd_comprehensive-approach_mental-health_callforevidence_en.pdf
[2] Voir Mathieu Perreault, « Suicides et dépression chez les actrices pornos : 52 % », La Presse, 16 juin 2012.
SIGNATURES