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Tensions croissantes en Europe sur la Convention d’Istanbul

Conv. Istanbul : Rejet & Ratification

Par ECLJ1602602258983
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Par Patryk Regalski

L’annonce en juillet que la Pologne pourrait bientôt dénoncer la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, appelée aussi Convention d’Istanbul, a suscité de vives réactions. On retrouve d’ailleurs ce sujet parmi les nombreux griefs exprimés par le Parlement européen contre la Pologne dans sa résolution du 17 septembre 2020, adoptée dans le cadre de la procédure de sanction sous le régime de l’Article 7 du Traité sur l’Union européenne. Le 27 juillet 2020, conformément à ce qu’il laissait entendre depuis la victoire d’Andrzej Duda à l’élection présidentielle polonaise, le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro a officiellement demandé à la ministre de la Famille, du Travail et de la Politique sociale, Marlena Maląg, d’engager le processus devant conduire au retrait de la Pologne de la Convention d’Istanbul. Le 29 juillet, face à la polémique déclenchée par cette annonce, le premier ministre Mateusz Morawiecki saisissait le Tribunal constitutionnel polonais sur la conformité de cette convention européenne à la constitution nationale.

Les reproches faits à la Convention d’Istanbul

La Convention d’Istanbul, signée en 2011 par les États membres du Conseil de l’Europe (à l’exception de la Russie), fut ratifiée par le parlement polonais au printemps 2015, sous le gouvernement de la Plateforme civique (PO) en coalition avec le parti agraire PSL. Cette ratification avait suscité les protestations du parti Droit et Justice (PiS), aujourd’hui au pouvoir en coalition avec deux petits partis de droite, dont le parti Pologne Solidaire (Solidarna Polska, SP). Zbigniew Ziobro, qui dirige ce parti nécessaire à la majorité absolue du gouvernement à la Diète,  a exigé en juillet dernier, après l’élection présidentielle, que le PiS tienne sa promesse de campagne de 2015 et dénonce cette convention jugée hostile à la famille et à la religion, en ce qu’elle les présente comme sources des violences conjugales. Selon M. Ziobro, les aspects positifs de la Convention d’Istanbul, qui concernent véritablement la lutte contre les violences domestiques et les violences à l’égard des femmes, sont déjà inclues dans le droit polonais, tandis que le aspects idéologiques de cette convention seraient dangereux et contre-productifs. En effet, selon cette convention, les États devraient prendre « les mesures nécessaires pour promouvoir les changements dans les modes de comportement socioculturels des femmes et des hommes en vue d’éradiquer les préjugés, les coutumes, les traditions et toute autre pratique fondés sur l’idée de l’infériorité des femmes ou sur un rôle stéréotypé des femmes et des hommes » (article 12, § 1). Il faut souligner que ladite convention ne se réfère pas au sexe pour qualifier les hommes et les femmes, mais à la notion de genre qu’il définit comme « les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes » (article 3). C’est le premier et seul texte de droit international à ce jour à contenir une telle définition pour un mot qui signifiait jusqu’alors le sexe biologique (Cf. Statut de Rome).

Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ, avait participé à la rédaction de cette Convention, et avait tenté, en vain, de faire admettre la complémentarité entre les hommes et les femmes.

Par ailleurs, pour Zbigniew Ziobro, l’engagement formulé à l’article 14, par. 1, de la Convention en vue d’entreprendre « les actions nécessaires pour inclure dans les programmes d’étude officiels et à tous les niveaux d’enseignement du matériel d’enseignement sur des sujets tels que l’égalité entre les femmes et les hommes, les rôles non stéréotypés des genres » est contraire à la constitution polonaise qui garantit le droit des parents à éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions. En outre, il est reproché à la Convention d’Istanbul, en engageant les États signataires de s’attaquer aux prétendues causes culturelles et religieuses des violences contre les femmes sous la supervision d’un organisme supranational, le GREVIO, de détourner les autorités et les services sociaux et ONG impliquées des causes les plus fréquentes des violences domestiques et à l’égard des femmes en Pologne. Des causes qui seraient principalement l’alcool, les dépendances à la drogue, et les pathologies sociales.

Une opposition répandue en Europe centrale et orientale

La Pologne n’est pas le seul pays à avoir des doutes sur la Convention d’Istanbul. En mai 2020, le parlement monocaméral hongrois adoptait à une large majorité une résolution enjoignant le gouvernement de Viktor Orbán de ne pas ratifier cette convention signée par la Hongrie en 2014, et également d’agir en vue d’empêcher son adoption par l’Union européenne. Comme en Pologne, les critiques hongrois de la Convention ont fait valoir que ses aspects positifs (ses clauses favorisant effectivement la lutte contre les violences domestiques et à l’égard des femmes) avaient déjà été intégrés au droit hongrois, et que son contenu idéologique était en revanche inacceptable. Auparavant, en février, le parlement slovaque avait lui aussi rejeté cette convention, également à une très large majorité, en invoquant des raisons similaires et en mettant en doute sa compatibilité avec la constitution nationale. En juillet 2018, c’était la cour constitutionnelle bulgare qui rejetait la Convention d’Istanbul en la jugeant non conforme à la constitution. La cour constitutionnelle bulgare avait été saisie sur ce sujet par un groupe de 75 parlementaires après que le gouvernement bulgare l’eut signée en janvier 2018. Les juges bulgares ont, entre autres arguments, souligné la difficulté de lutter efficacement contre les violences faites aux femmes si l’on relativise la définition même de « femme ». En République Tchèque, si la Convention d’Istanbul n’a toujours pas été ratifiée, le gouvernement d’Andrej Babiš devait se saisir de la question le 27 juillet en vue de la soumettre rapidement à l’approbation au parlement, mais il y a finalement renoncé, craignant une nouvelle polémique.

À ce jour, treize États du Conseil de l’Europe n’ont pas ratifié cette convention signée en 2011 : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Hongrie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, la Moldavie, la Russie (qui ne l’a pas signée), la Slovaquie, la Tchéquie, l’Ukraine et le Royaume-Uni. On le voit, l’opposition à cette Convention d’Istanbul vient surtout des pays d’Europe centrale et orientale.

Réunis à Bratislava en septembre 2018, les évêques catholiques de huit pays d’Europe centrale avaient d’ailleurs appelé leurs gouvernements à rejeter cette convention.

Faire ratifier la Convention d’Istanbul par l’UE : un objectif de la Commission européenne et du Parlement européen

La ratification de la Convention d’Istanbul par l’Union européenne est en revanche l’un des objectifs déclarés de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Une telle ratification a aussi été demandée par le Parlement européen dans une résolution du 12 septembre 2017.

L’interprétation de la Convention d’Istanbul par le Parlement européen a aussi été évoquée en Pologne pour souligner le danger porté par cet accord international. En effet, alors que la Convention d’Istanbul elle-même ne mentionne pas un quelconque droit à l’avortement, les députés ont estimé dans leur résolution du 12 septembre 2017 que « le refus d’accorder des services liés aux droits et à la santé sexuelle et génésique, y compris la possibilité d’avortements sûrs et légaux, constitue une forme de violence à l’encontre des femmes et des filles ». Rappelons à cet égard que l’avortement n’est autorisé en Pologne que dans des cas bien définis[1], et que la Pologne ne pourrait pas, sans violer sa loi et sa constitution, accepter l’invitation, formulée dans cette résolution à l’intention des États membres de l’UE, « à garantir une éducation sexuelle complète, un accès aisé des femmes à la planification familiale et l’ensemble des services de santé génésique et sexuelle, y compris les méthodes de contraception modernes et l’avortement sûr et légal ». Dans l’Union européenne, la régulation de l’avortement est pourtant une compétence exclusive des États membres, ce que les députés européens ont feint d’ignorer. Mais l’on voit aussi par cette résolution comment la Convention d’Istanbul, si elle était adoptée par l’Union européenne en tant que telle, pourrait servir à empiéter sur certaines compétences réservées des États membres en l’intégrant au droit européen. Le 28 novembre 2019, le nouveau Parlement européen a encore appelé tous les pays membres de l’UE à ratifier la Convention d’Istanbul sans délai, à un moment où sept pays de l’UE (dont le Royaume-Uni, qui faisait encore partie de l’UE à ce moment-là) ne l’avait pas encore ratifiée.

Les femmes moins souvent victimes de violence dans les pays où la Convention d’Istanbul est contestée

Cette situation s’inscrit paradoxalement dans un contexte plus global. À en croire l’étude 2014 de l’Agence des droits fondamentaux, les femmes sont plutôt moins souvent victimes de violences dans les sociétés plus conservatrices (et globalement plutôt plus religieuses) d’Europe centrale que dans les pays d’Europe occidentale et du Nord. Plus frappantes encore sont les statistiques des viols et autres agressions sexuelles publiées par Eurostat, qui montrent que les femmes sont beaucoup plus souvent agressées sexuellement en Europe occidentale et en Scandinavie que dans les pays de l’ancienne Europe de l’Est. À voir les statistiques publiées par Eurostat pour 2018, on se demande à quoi peut bien servir la Convention d’Istanbul en vigueur depuis 2014. De fait, la très catholique Pologne est un des pays d’Europe les plus sûrs pour les femmes, tandis que la France est un de ceux où les femmes risquent le plus d’être victimes de viol ou d’une autre forme d’agression sexuelle. Cela n’empêche pas le Français Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, de vouloir sanctionner financièrement la Pologne si celle-ci dénonce la Convention d’Istanbul[2].

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[1] La loi polonaise de 1993 « sur la planification familiale, la protection du fœtus humain et les conditions autorisant une interruption de grossesse » autorise les avortements dans trois cas de figure : en cas de risque pour la vie ou la santé physique lié à la grossesse de la femme enceinte (sans limite de temps), en cas de grossesse issue d’un viol ou d’un inceste (jusqu’à la 12e semaine) et en cas de diagnostic prénatal de maladie ou handicap grave et incurable du fœtus (tant que l’enfant ne pourrait pas survivre en dehors du ventre de sa mère, c’est-à-dire jusque vers la 24e semaine). En 1997, le Tribunal constitutionnel polonais a formellement interdit l’ajout d’une clause autorisant les avortements motivés par la seule situation socio-économique de la femme enceinte, jugeant une telle liberté comme étant disproportionnée par rapport à la garantie du droit à la vie inscrite dans la constitution polonaise.

[2] Sujet abordé à partir de la 18e minute du Grand entretien du 29 juillet (« L’invité de 8h20 ») sur la radio France Inter. Le Secrétaire d’État français estime que le lien établi dans les Conclusions du Conseil européen des 17-21 juillet 2020 (aux points 22 et 23) entre le budget européen et le fond de récupération, d’une part, et le respect de l’État de droit et des valeurs européennes, d’autre part, devrait s’appliquer au rejet par un État membre de la Convention d’Istanbul.

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