Le 25 mars 2021, le député croate Perdrag Matić a présenté un projet de résolution sur la situation de la santé et des droits sexuels et génésiques dans l’Union européenne. Alors même que ce domaine relève de la seule compétence des États membres, ce projet tente d’introduire la reconnaissance d’un « droit à l’avortement » en parallèle d’une suppression de l’objection de conscience, en contradiction avec le droit européen.
Par Agathe Villain
Un projet de résolution en dehors des compétences de l’Union européenne
Le domaine de la santé ne fait pas partie des compétences de l’Union européenne, celui-ci appartient aux États[1]. Plus précisément, une action sur la question de l’avortement serait illégale ; le monopole des États membres sur cette question a d’ailleurs été rappelé à plusieurs reprises par différents organes européens. Encore récemment, la Commission européenne a affirmé que « les compétences législatives en ce qui concerne la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation, y compris l’avortement, appartiennent aux États membres »[2]. Cette position est constante et régulièrement confirmée par la Commission[3]. Le respect de la compétence des États dans le domaine de la santé répond au principe de subsidiarité consacré dans les traités européens[4]. Ce principe entend protéger la capacité de décision et d’action des États membres. En matière de santé, cela a été rappelé ; « l’action de l’Union complète les politiques nationales […]. La Commission encourage la coopération entre les États membres »[5]. L’Union européenne ne peut donc pas imposer un « droit à l’avortement » alors même que les États membres adoptent des positions très variées à ce sujet. Le défaut de compétence de l’Union à une telle action avait d’ailleurs déjà conduit au rejet par le Parlement européen du rapport Estrela, présenté en 2013 et tristement identique au projet de résolution actuel. La résolution du Parlement européen affirmait clairement que « la définition et la mise en œuvre des politiques de santé et des droits sexuels et génésiques relèvent de la compétence des États membres »[6].
Prenant garde de la réticence des États membres à se voir imposer une norme qu’ils n’ont pas choisie, les promoteurs de ce projet de résolution tentent de tirer parti du système de la soft law, afin d’introduire une nouvelle norme sans qu’elle paraisse à première vue s’imposer. Le choix de l’institution dans cette stratégie n’est pas à sous-estimer car bien que les résolutions du Parlement européen n’aient pas de valeur juridique contraignante, elles sont l’expression d’une opinion que ce dernier souhaite faire connaitre. Une résolution peut permettre par la suite de légitimer politiquement une action des États membres ou des institutions, elle vise à produire des effets pratiques. Plus grave encore, elle peut exprimer une intention pré-législative qui peut être utilisée par la suite pour justifier des actes contraignants. Il ne fait donc pas de doute qu’un acte du Parlement européen représente la porte d’entrée au cœur du système normatif.
Un projet de résolution contraire au droit
En premier lieu, ce projet de résolution affirme l’existence d’un « droit à l’avortement » et tente de le fonder en droit international, notamment en le faisant découler du droit à la santé et plus particulièrement de la santé sexuelle et reproductive. Pourtant, il n’existe en droit international aucun traité reconnaissant un « droit à l’avortement » et l’incluant dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive. Au contraire, l’association entre ces deux notions est exclue. Tout d’abord, on ne trouve qu’un seul traité international mentionnant les « droits sexuels et reproductifs » mais l’avortement n’en fait pas partie[7]. De même, la Déclaration du Caire de 1994 rejette l’avortement du champ d’application de ces droits. Au contraire, elle prévoit que l’avortement ne doit pas être considéré comme un moyen légitime de planification familiale[8] et les États prennent l’engagement de réduire le nombre d’avortements. En 2014, le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a affirmé que cette "feuille de route (...) reste intacte” [9]. En 2020, dans la Déclaration de consensus de Genève, 35 États des Nations unies réaffirment que l’avortement n’est pas inclus dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive[10].
L’existence d’un « droit à l’avortement » ne peut non plus se fonder sur les différents instruments européens de protection des droits de l’homme (Convention européenne des droits de l’homme et Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). Notamment, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que le droit à la vie privée de la mère[11] ne pouvait pas être interprété comme contenant un droit à l’avortement. La Cour a rappelé à plusieurs reprises que la vie privée de la femme enceinte était étroitement liée à celle de l’enfant à naitre, et que leurs intérêts respectifs doivent être conciliés[12]. La prise en compte de l’intérêt de l’enfant à naitre détermine également les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne. En 2011, elle a reconnu la dignité humaine des embryons humains[13]. La protection de ce principe suprême a conduit la Cour à refuser la brevabilité d’un projet conduisant à leur destruction. Le projet de résolution méconnait totalement la dignité des enfants à naitre notamment lorsqu’il « invite » les États à légaliser l’avortement tout au long de la grossesse. De la même manière que l’avortement conduit à la destruction d’embryons humains et de fœtus et affecte le principe de dignité humaine, il doit impérativement être limité. Ou la dignité de l’enfant à naitre serait-elle moins digne d’être protégée lorsqu’il s’agit de pratiquer un avortement ?
Un projet de résolution contre la liberté de conscience
Selon le projet de résolution, la réalisation du « droit à l’avortement » exigerait la suppression de tous les obstacles à sa pratique et notamment celui de l’objection de conscience. Selon le projet de résolution, la possibilité reconnue au personnel médical de refuser une activité considérée comme incompatible avec leurs convictions religieuses, morales, philosophiques ou éthiques devrait être interdite. Le projet de résolution considère même que cette attitude devrait être traitée comme un refus de prise en charge médicale.
Pourtant, le droit à la liberté de conscience est expressément garanti par le droit international et européen respectivement à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le caractère fondamental de cette liberté n’est plus à démontrer, elle est même qualifiée par la Cour européenne d’assise de la société démocratique[14]. A fortiori, l’objection de conscience doit être protégée et la jurisprudence de la Cour confirme cette exigence[15]. Suivant cette position, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a expressément consacré le droit à l’objection de conscience, sans le limiter au service militaire[16]. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a rappelé l’importance du droit à l’objection de conscience dans le domaine médical dans sa résolution 1928 du 24 avril 2013, dans laquelle elle appelle les États à « garantir le droit à une objection de conscience en rapport avec des questions sensibles du point de vue éthique comme les services liés aux soins de santé ». Les États ont simplement l’obligation positive de concilier les droits des personnes et cela a été affirmé par la Cour européenne des droits de l’homme[17].
La présentation douteuse de ce projet de résolution
L’illégalité des propositions du projet de résolution se constate ainsi à plusieurs égards ; celle-ci semble être confirmée par les références abusives faites à des sources juridiques faibles dans son visa. Le rapporteur cite des directives européennes qu'il détourne largement de leur domaine d’action[18], ainsi que des textes n’ayant aucune valeur juridique. Conscients de cette faiblesse, les promoteurs de ce projet de résolution ont entrepris d’écarter d'avance toute potentielle opposition.
C’est précisément dans ce but qu'une attaque contre les organisations pro-vie a été menée lors d'une audition au Parlement européen le 25 mars 2021. Cette dernière les présentait comme partie à un complot chrétien-conservateur agissant contre les valeurs de l’Union européenne. Cette mise en scène visait à décrédibiliser les organisations pro-vie et à remettre en cause leur légitimité, afin de les exclure du débat démocratique. Cette tentative semble pourtant bien hypocrite, particulièrement si l’on se penche sur les liens existants entre les différents intervenants à cette audition avec des organisations étrangères. Tous font partie d’un large réseau mondial de militants pour l’avortement, richement financé par des organisations telles que la Fédération International du Planning Familial, l’Open Society ou encore la fondation Gates[19]. L’ironie de cette argumentation se constate également du caractère totalement unilatéral de cette audition. C’est une réelle manœuvre idéologique qui a été mise en place par les promoteurs de l’avortement, afin par la suite, d’imposer sans obstacle leur vision des droits humains.
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[1] Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), article 168§7
[2] Question parlementaire, 9 mars 2021, E-005924/2020 Réponse donnée par Mme Dalli au nom de la Commission européenne.
[3] Questions parlementaires, 9 février 2021, E-005297/2020, E-005939/2020, E-006029/2020, P-006345/2020, Réponse donnée par Mme Dalli au nom de la Commission européenne.
[4] Traité sur l’Union européenne (TUE), Article 5, paragraphe 2 et 3.
[5] Question parlementaire, 15 février 2021, E-006085/2020, Réponse donnée par Mme Dalli au nom de la Commission européenne.
[6] Résolution du Parlement européen du 10 décembre 2013 sur la santé et les droits sexuels et génésiques (2013/2040(INI)).
[7] ONU, Convention et Protocole facultatif relatifs aux droits des personnes handicapées, 13 décembre 2006.
[8] Déclaration du Caire 1994, Article 8.
[9] ONU Femmes, Déclaration et Programme d’action de Beijing, Déclaration politique et textes issus de Beijing+5, 2014, p. 7. Tradution libre.
[10] Déclaration de consensus de Genève sur la promotion de la santé de la femme et le renforcement de la famille, 22 octobre 2020.
[11] CEDH, Article 8.
[12] CEDH, A, B et C c. Irlande [GC], n°25579/05, §212, 2010.
[13] CJUE, Oliver Brüstle c. Greenpeace, 18 octobre 2011.
[14] CEDH, Kokkinakis c. Grèce, n°14307/88, 25 mai 1993.
[15] CEDH, Bayatyan c. Arménie, n° 23459/03, 7 juillet 2001.
[16] Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Article 10.2, 2000.
[17] CEDH, R.R c. Pologne, n°27617/04, 26 mai 2011 ; CEDH P. et S. c. Pologne, n°57375/08, 30 octobre 2012.
[18] Directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil, 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de santé transfrontaliers et Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain
[19] Éléments factuels, Audition "Foreign interference on the financing of anti-choice organisations in the EU, Parlement européen, 25 mars 2021.