Indemnisation pour préjudice d'être né
Le 15 octobre 2020, la Cour régionale de Budapest-Capitale a déposé une initiative judiciaire auprès de la Cour constitutionnelle hongroise (N° III/01838/2020), concernant un procès en matière de responsabilité civile. Dans cette affaire, les parents d’un enfant handicapé (les demandeurs) poursuivent un hôpital (défendeur) pour obtenir des dommages et intérêts en compensation de la naissance préjudiciable de leur enfant, qui souffrait de troubles congénitaux.
En Hongrie, lorsque les tribunaux doivent se prononcer sur une affaire en appliquant une règle qu’ils jugent inconstitutionnelle, ils ont la possibilité de demander à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionalité d’une loi et de suspendre le procès en attendant sa réponse. À la suite d’une initiative judiciaire, la Cour constitutionnelle peut décider d’une annulation de la disposition en question.
Le fondement de la procédure et les arguments des plaignants
La présente procédure repose sur un procès, dans lequel la Cour régionale de Budapest a décidé de porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle car elle considère la règle applicable anticonstitutionnelle. La Cour régionale a donc demandé à la Cour constitutionnelle d’annuler la disposition. Dans le cadre de cette action, les demandeurs (les parents) poursuivent l’hôpital en tant que prestataire de soins de santé, pour obtenir des dommages et intérêts.
Leur enfant est atteint d’une maladie congénitale, qui n’a pas été diagnostiquée par l’hôpital lors de la grossesse. Ils soutiennent que ces malformations auraient dû être diagnostiquées avant la 20e ou la 24e semaine de grossesse. Une telle erreur des professionnels de santé a privé la mère de son droit à l’autodétermination, qui est prévu par la loi hongroise. La disposition au cœur de cette affaire se trouve dans la loi hongroise LXXIX de 1992 (ci-après la « loi ») sur la protection de la vie fœtale. Une disposition autorise l’avortement jusqu’à la 20e semaine ou la (24e semaine en cas de procédure de diagnostic prolongée) s’il y a au moins 50 % de chances que l’enfant présente une ou plusieurs malformations fœtales.
Les plaignants font valoir que, selon la jurisprudence nationale actuelle, dans les cas d’une naissance préjudiciable, les parents ont droit à une indemnisation pour l’atteinte à leur droit à planifier leur famille, en particulier le droit de la mère à l’autodétermination. Le lien entre l’indemnisation et l’erreur de diagnostic n’est pas le trouble de l’enfant, mais le fait que la mère n’a pas pu décider d’avorter, puisque l’erreur de diagnostic l’a privée de ce droit. Cet argument est fondé sur une décision garantissant l’application homogène de la loi dans les affaires de droit civil.
En l’espèce, l’enfant n’a pas d’os à partir du coude et il a des troubles de développement du langage. L’enfant a également besoin d’un soutien psychomoteur, selon les experts du procès et des experts indépendants. Selon l’Institut des experts médico-légaux, le personnel hospitalier aurait dû constater l’absence des os du fœtus lors de l’examen du deuxième trimestre. Cependant, les autres anomalies n’auraient pas pu être vues de manière réaliste, car il n’y avait pas de preuve génétique directe qui aurait pu servir de base pour établir un diagnostic complexe incluant les autres anomalies du fœtus. Selon les experts, ces autres anomalies étaient très probablement la conséquence d’une complication pendant la grossesse. Selon les plaignants, l’erreur principale de diagnostic a privé la mère de son droit de décider de l’interruption de la grossesse.
Les observations du tribunal régional de Budapest-Capital
La Cour régionale de Budapest a estimé que la question en l’espèce n’était pas seulement une question de diagnostic, mais que le niveau de protection du fœtus prévu par le législateur devait également être évalué. Sur la base de la disposition susmentionnée de la loi, il faut également vérifier quelles procédures de diagnostic et quels troubles peuvent suffire à justifier un droit à recourir à l’interruption de grossesse. Par conséquent, l’affaire n’est pas seulement une question de droit civil et de charge de la preuve, mais aussi une question constitutionnelle, puisque dans ce contexte, la protection du fœtus prévue par la législation devrait être au centre des préoccupations de la Cour. Par conséquent, la Cour régionale a évalué si le législateur avait garanti un niveau de protection adéquat au fœtus.
La Cour régionale a estimé que la loi ne peut pas assurer un équilibre approprié entre les droits du fœtus et ceux des parents. La Cour confirme que la vie prénatale est un statut juridique conditionnel, mais la réglementation actuelle n’établit pas un niveau de protection adéquat, car les droits du fœtus sont bien plus réduits que ceux des parents. La Cour soutient que le fœtus doit bénéficier de droits égaux à ceux de toute autre personne. Pour ce faire, la loi ne peut être l’outil adéquat pour protéger la vie du fœtus que si elle limite les possibilités d’interruption de grossesse. Ainsi, la possibilité de recourir à un avortement lorsqu’il y a 50 % de chance que le fœtus présente une malformation fœtale n’est pas suffisamment stricte ni précise. Cette ambiguïté ouvre la possibilité d’une interprétation différente de la loi entre les tribunaux, les parents et les professionnels de santé.
Dans sa requête, la Cour régionale a fait valoir que, puisque le fœtus n’est pas représenté et n’a pas la capacité de décider, la loi devrait être plus précise et plus éthique lorsqu’elle détermine les conditions de la vie post-natale. La question est de savoir quels troubles pourraient être qualifiés de fondement pour examiner la responsabilité des professionnels de santé, ou quand les troubles intra-utérins ne devraient pas être un fondement pour le droit d’interrompre la grossesse.
Selon la Loi fondamentale hongroise protégeant la dignité humaine de chaque personne, la vie du fœtus est protégée dès la conception. Cela signifie que les dispositions des lois doivent intégrer cet objectif, qui suppose qu’en cas d’avortement, les droits du fœtus doivent être compris dans la loi.
Dans ce cas, selon la Cour régionale, la formulation de la loi « 50% de possibilité de malformation fœtale » peut être ambiguë, car elle n’est pas suffisamment précise : étant donné que les outils de diagnostic se sont améliorés récemment et que le corps médical est en mesure de fournir des informations plus précises, la loi pertinente devrait être interprétée et remaniée en conséquence. La « possibilité de 50% de malformation fœtale » pourrait signifier des troubles mineurs et majeurs, mais elle ne répond pas à la question de savoir comment ceux-ci devraient être qualifiés lorsqu’il s’agit de décider de l’interruption de grossesse.
Sur la base de cette ambiguïté, la Cour régionale a estimé que cette question ne devait pas être traitée par les professionnels de la santé ou les tribunaux, mais par le corps législatif. La Cour a également proposé que les droits accordés à la mère soient limités sur la base d’un critère objectif qui prend également en compte le droit à la vie du fœtus. De tels critères ne peuvent être conformes au principe du droit à la vie que si la loi est aussi précise que possible. Sur la base de ces arguments, la Cour a estimé que la disposition concernée était ambiguë et donc inconstitutionnelle.
Une future décision de la Cour constitutionnelle ?
La Cour régionale de Budapest plaide pour l’inconstitutionnalité d’une disposition particulière. Il est donc peu probable qu’elle modifie fondamentalement la législation hongroise sur la protection de la vie à naître.
L’affaire en est au stade de l’admissibilité, où un juge de la Cour constitutionnelle décidera si elle remplit les conditions pour être présentée devant l’ensemble du corps de la Cour constitutionnelle. Si c’est le cas, l’affaire devient formellement une affaire pendante, sur laquelle la Cour constitutionnelle doit se prononcer sur le fond. La Loi fondamentale fixe un délai de 90 jours pour la décision.
Après cette étape, la Cour constitutionnelle peut soit annuler la disposition ambiguë, soit se prononcer en faveur de la constitutionnalité de celle-ci. Nous le saurons dans les prochains mois.
L’exemple polonais récent En octobre 2020, c’est en Pologne que la question de la protection constitutionnelle de l’enfant à naître malade ou handicapé s’est posée. Le 22 octobre, le Tribunal constitutionnel polonais, réuni en assemblée plénière, a rendu une décision historique déclarant l’avortement eugénique contraire à la dignité et à la vie de l’être humain dont le respect est garanti par la Constitution polonaise. Cette décision a eu pour effet d’abroger la disposition de la loi polonaise de 1993 qui autorisait jusqu’alors l’avortement en cas de « forte probabilité de handicap grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable menaçant sa vie ». Les avortements eugéniques constituent la plupart des 1000 à 2000 avortements réalisés chaque année en Pologne, et visent principalement les enfants porteurs de la trisomie 21. L’ECLJ était intervenu dans cette affaire auprès du Tribunal constitutionnel en apportant des arguments de droit européen et international (voir ici nos observations en anglais et en polonais). De nombreux médias polonais ont décrit l’amicus brief de l’ECLJ comme une intervention décisive dans la procédure au Tribunal constitutionnel. |