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Pologne : L’initiative citoyenne contre l’avortement eugénique à nouveau en quarantaine

Pologne : Loi contre l’IVG reportée

Par Priscille Kulczyk1588750262114
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L’épidémie de coronavirus donne actuellement aux organisations pro-avortement un prétexte pour faire avancer leur agenda auprès des organisations internationales et des États. Ainsi, alors que l’Organisation mondiale de la santé promeut l’avortement médicamenteux à domicile, la France a allongé le délai le permettant, cela à la faveur des mesures de confinement et en dépit des risques de complications que court la femme en tel cas.

Dans ce contexte, le projet de loi polonaise issu de l’initiative citoyenne « Arrêtez l’avortement » (Zatrzymaj aborcję) qui a été examiné le 16 avril 2020 par la Diète fait figure d’exception, puisqu’il s’agissait d’interdire l’avortement eugénique, c’est-à-dire lorsqu’est diagnostiquée une forte probabilité d’anomalie congénitale grave ou de maladie grave et incurable de l’enfant à naître. Malheureusement, le manque d’audace a une nouvelle fois touché la Diète sur la question de l’avortement : s’il faut se réjouir qu’elle n’ait pas d’emblée rejeté ce projet, elle a botté en touche en le renvoyant en « quarantaine » dans les commissions parlementaires « Santé » et « Politique sociale et famille ».

Sursis pour la nouvelle initiative citoyenne contre l’avortement

Issu du compromis voté en 1993, après la période communiste durant laquelle l’avortement était très répandu, le droit polonais actuel prévoit trois motifs pouvant justifier une telle intervention : motif eugénique, grossesse résultant d’un acte criminel tel que viol, danger pour la vie ou la santé de la femme enceinte. « Arrêtez l’avortement » n’est pas la première initiative citoyenne contre l’avortement portée par les Polonais. En 2016 déjà, « Stop Avortement » (Stop Aborcji) avait recueilli plus de 450 000 signatures pour demander la suppression des deux premiers motifs, seule devant subsister la possibilité d’avorter pour préserver la vie ou la santé de la femme enceinte. La commission parlementaire « Justice et droits de l’homme » avait alors recommandé à la Diète de rejeter ce projet, ce qui fut fait le 6 octobre 2016. Les Polonais n’ont toutefois pas désarmé et l’initiative citoyenne « Arrêtez l’avortement » est introduite devant le législateur polonais le 30 novembre 2017 avec, cette fois, 830 000 signatures en faveur d’un projet législatif à peine moins ambitieux que « Stop Avortement » : le but est de modifier la loi de 1993 « sur la planification familiale, la protection du fœtus humain et les conditions autorisant une interruption de grossesse » en supprimant uniquement le motif eugénique justifiant environ 95 % des avortements actuellement pratiqués en Pologne. Cette initiative citoyenne part du constat qu’une très grande partie de ces avortements concerne les enfants à naître suspectés d’être porteurs d’affections ne les empêchant aucunement de vivre : principalement le syndrome de Down (trisomie 21) ou celui de Turner (dysgénésie gonadique chez les filles).

Ce projet a donc toutefois été renvoyé en commission le 16 avril 2020, par 375 voix contre 68 (7 députés se sont abstenus, 10 n’ont pas voté), aucune date de vote n’étant prévue pour le moment. Il était pourtant permis d’espérer son adoption, après le discours prononcé devant la Diète par Abby Johnson, dont l’histoire a inspiré le film Unplanned qui a connu récemment un immense succès dans les salles polonaises. De passage en Pologne en février 2020, l’ex-directrice d’une clinique d’avortement du Planning familial aux États-Unis avait interpellé les parlementaires et le peuple polonais : « Ne croyez pas que votre situation est meilleure, parce que votre loi est meilleure que celle d’autres États. (…) En Pologne, il y a un projet signé par presque un million de personnes qui veulent en finir avec l’eugénisme. L’eugénisme ! Vous entendez ce mot ? L’eugénisme a été à l’origine de l’Holocauste ! Faites-vous entendre et exigez des députés qu’ils votent cette loi ! ».

Un manque de volonté politique de la majorité au pouvoir

Dans ce contexte, une analyse politique s’avère nécessaire. Elle montre que ce nouveau renvoi en commission est largement à mettre sur le compte d’une absence de volonté politique de la majorité au pouvoir (issue du parti Droit et Justice - Prawo i Sprawiedliwość ou PiS) pour s’attaquer au compromis de 1993. De même, le projet « Stop Avortement » avait été rejeté, alors que le parti PiS était majoritaire à la Diète et au Sénat, ce qui n’est plus le cas à présent au Sénat. On est donc bien loin de ce qu’a relayé la presse française qui titrait par exemple « IVG en Pologne : Le gouvernement profite de la crise pour détruire nos droits » (site internet de Libération, 15 avril 2020). En effet, si la Diète polonaise est tenue de s’exprimer sur les initiatives citoyennes recueillant au-moins 100 000 signatures, « Arrêtez l’avortement » semblait comme « congelée » dans les commissions et sous-commissions parlementaires alors que le délai d’examen du projet en première lecture arrivait à échéance le 12 mai : le calendrier ayant conduit à cet examen en temps de crise sanitaire ne constitue donc en aucun cas la manœuvre sournoise dénoncée par certains médias.

Bien qu’il s’agisse d’un vote en demi-teinte ni rejet/ni adoption, il faut souligner l’existence d’un noyau dur de parlementaires soutenant le projet et issu principalement des partis PiS (52), PSL/Kukiz15 (5) et Konfederacja (11). De même, des personnalités étatiques s’y sont montrées favorables, à l’instar du Défenseur des droits de l’enfant (Rzecznik praw dziecka) Mikołaj Pawlak, ou encore du Président de la République Andrzej Duda qui a assuré : « Je suis fermement opposé à l’avortement eugénique et je crois que tuer des enfants handicapés est tout simplement un meurtre. Si un projet qui va contre cela se retrouve sur mon bureau, certainement je le signerai ». Quant à M. Pawlak, son discours du 16 avril devant la Diète mérite d’être remarqué : brandissant une affichette reproduisant l’article 2 de la loi relative au Défenseur des droits de l’enfant (« Est un enfant tout être humain de la conception à la majorité »), il a rappelé aux parlementaires qu’ils se doivent de donner des outils afin que cette disposition soit respectée pour protéger tous les droits, notamment le droit à la vie, de tous les enfants, nés ou non : « Vous pouvez inventer autant de droits que vous voulez, même un droit à la récréation en temps de pandémie, mais le droit à la vie et le moment où elle commence est déjà défini ». Il a finalement imploré la Diète d’adopter le projet : « Il a déjà été congelé une fois, or quelque chose qui sort du congélateur n’est plus frais. (…) Vous avez tous une conscience, et pour ceux qui s’en servent rarement elle est toute propre. Elle peut parfois servir à indiquer le droit chemin pour vous-mêmes et pour nous tous. Servez-vous-en. Je vous le demande au nom des enfants. De tous les enfants ».

L’avortement eugénique contraire à la Constitution polonaise ?

Ce manque de volonté politique peut encore s’expliquer par la procédure actuellement pendante devant le Tribunal constitutionnel polonais, saisi en octobre 2017 par 100 députés de PiS lui demandant de statuer sur la constitutionnalité de l’avortement eugénique : il semble que le pouvoir s’en remette à l’autorité des juges sur cette question. Or l’avortement eugénique, auquel l’initiative citoyenne se proposait de mettre fin, apparaît contraire à la Constitution polonaise comme l’avancent beaucoup de juristes de renom tels que le professeur Andrzej Zoll, ancien Président de la Cour constitutionnelle et ancien Ombudsman (Rzecznik Praw Obywatelskich).

En effet, l’obligation de protéger l’enfant à naître, y compris handicapé ou malade, peut être déduite de plusieurs dispositions de la Constitution concernant l’État de droit démocratique (art. 2), la protection de la maternité (art. 18), la dignité humaine (art. 30), l’interdiction de la discrimination (art 32 § 2), la protection de la vie humaine (art. 38), l’exigence d’une protection spéciale pour les personnes handicapées (art. 68 § 3 et 69). En outre, le Tribunal constitutionnel a déjà jugé que « la valeur du bien juridique constitutionnellement protégé qu’est la vie humaine, y compris la vie se développant dans la phase prénatale, ne peut faire l’objet d’une distinction » et que « l’interdiction de la violation de la vie humaine, y compris la vie de l’enfant conçu, résulte de normes de nature constitutionnelle. Dans une telle situation, le législateur ordinaire ne peut donc pas être habilité à décider des conditions d’une telle interdiction, ce qui rendrait les normes constitutionnelles conditionnelles par nature. En particulier, il ne peut pas la faire dépendre de dispositions contenues dans des lois ordinaires » (28 mai 1997, K 26/96). Pour cette même juridiction également, « il ne fait aucun doute que la valeur de la vie d’une personne ne peut être évaluée sur la base de son âge, de son état de santé, de son espérance de vie ou de tout autre critère » et « il serait tout à fait inacceptable dans un État de droit démocratique, mettant en œuvre les principes de justice sociale et protégeant la vie et la dignité humaine inaliénable, de limiter la protection juridique de la vie humaine afin de protéger des biens situés plus bas dans la hiérarchie constitutionnelle, par exemple la propriété (…), la moralité publique, la protection de l’environnement ou même la santé d’autres personnes » (30 septembre 2008, K 44/07).

La Cour européenne des droits de l’homme s’invite dans le débat

Alors que la question de l’avortement eugénique divise à la fois le peuple polonais, ses juges et ses élus, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) semble vouloir s’inviter dans le débat : le 29 janvier 2020, elle a en effet communiqué au Gouvernement la requête B.B contre Pologne (n° 67171/17). Celle-ci a été introduite devant la Cour il y a presque 3 ans (le 21 août 2017) par une femme qui se plaint de n’avoir pas pu avorter, pour diverses raisons et malgré la possibilité offerte par le droit polonais, alors que plusieurs anomalies fœtales avaient été détectées. Elle a ainsi accouché de son enfant qui est décédé quelques jours plus tard. Sa requête se fonde sur l’interdiction de la torture (art. 3 de la Convention), le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8), le droit à un recours effectif (art. 13) et l’interdiction de la discrimination (art. 14).

Dans ce contexte, il importe de rappeler qu’aucun texte international n’oblige les Etats à autoriser le recours à l’avortement et qu’ils se sont au contraire engagés à le prévenir. En outre, dans un document adressé en 2018 au Comité des droits de l’homme de l’ONU qui révisait alors l’Observation générale n°36 sur le droit à la vie, le Comité des droits des personnes handicapées a condamné l’avortement eugénique en tant que pratique discriminatoire. Il avait alors déclaré que « les lois qui autorisent explicitement l’avortement en raison d’un handicap violent la Convention des droits des personnes handicapées (Art. 4,5 et 8) » à laquelle la Pologne est partie. Il avait poursuivi en expliquant que ce type d’avortement est souvent basé sur des diagnostics erronés, et que « même s’ils ne sont pas faux, cette affirmation perpétue le préjugé selon lequel le handicap serait incompatible avec une vie heureuse ». En tout état de cause, force est toutefois de constater que si le pouvoir se montre peu enclin à légiférer dans le sens d’une limitation du recours à l’avortement, les Polonais n’ont de cesse de lui montrer leur volonté tenace en ce sens vu le succès qu’ont connu les récentes initiatives citoyennes en la matière. Une enquête menée au printemps 2017 par l’institut de sondage CBOS a montré que 70 % des Polonais sont favorables à la protection de la vie humaine dès la conception.

Pour la protection de toute vie humaine
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