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Loi sur l’avortement en Espagne : Conflits d’intérêts majeur à la Cour constitutionnelle

Espagne : La loi IVG de 2010 validée

Par ECLJ1690360620000
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En 2010, la gauche était au pouvoir en Espagne et le Gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero a adoptée une nouvelle loi sur les délais de recours à l’avortement qui a élargi la légalité de l’avortement en Espagne[1]. Antérieurement à cette loi, les femmes en Espagne ne pouvaient obtenir un avortement que dans trois cas spécifiques : le viol, le risque pour la santé physique et psychologique de la mère et la malformation du fœtus[2]. Cependant, en vertu de cette législation récente, les femmes peuvent avorter pour n’importe quelle raison jusqu’à quatorze semaines de grossesse ou jusqu’à vingt-deux semaines si l’enfant à naître présente une anomalie génétique. Bien que la loi fut adoptée il y a plus d’une décennie, ce n’est qu’en juin de cette année que la Cour constitutionnelle espagnole a rendu son arrêt sur la constitutionnalité de cette loi… avec des juges ayant des conflits d’intérêts manifestes.

Le recours contre la loi de 2010 sur l’avortement

Immédiatement après la promulgation de la loi sur l’avortement de 2010, le Partido Popular, le principal parti politique conservateur espagnol, a fait appel devant la Cour constitutionnelle espagnole, mettant en doute sa constitutionnalité. Mais la Cour n’a pas diligemment répondu à l’appel. Plus de treize ans se sont écoulées avant que la Cour ne rende son arrêt, laissant les services médicaux avorter des milliers d’enfants.

Pourquoi la Cour constitutionnelle a-t-elle mis tant de temps à répondre à ce recours ? Il semble incompréhensible que la Cour mette autant d’années à statuer sur un appel concernant le droit fondamental le plus important : le droit à la vie. En fait la Cour a tout simplement attendu d’avoir une majorité de juges pro-avortement avant de trancher cette question. Par 7 voix contre 4, la Cour a déclaré que cette loi de 2010 sur l’avortement était constitutionnelle et consacrait légalement l’avortement comme un « droit ». Bien que la Cour ne considère pas l’avortement comme un droit « fondamental », elle affirme que l’avortement fait intégralement et inaliénablement partie de « l’autodétermination de la volonté de la femme ». Cependant ce jugement, cependant, est entaché de partialité.

Un élément essentiel d’un pouvoir judiciaire efficace et conforme à l’État de droit est l’impartialité, tel que consacré par la Constitution espagnole (art. 24), la Convention européenne des droits de l’homme (art. 6.1) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 47). Comme le soutiennent ces articles, les juges ayant de potentiels conflits d’intérêts doivent s’abstenir de siéger ou être déportés. Cependant, quatre des onze juges[3] siégeant à la Cour et qui ont rendu cet arrêt ont un grave conflit d’intérêts : ils ont participé à la rédaction de la loi de 2010. Pourtant, aucun de ces contributeurs devenus juges ne s’est abstenu ou n’a été déporté. Cela constitue une menace pour la légitimité de la Cour constitutionnelle espagnole, qui se doit de faire respecter le principe d’impartialité judiciaire.

Les quatre juges en situation de conflit d’intérêts

Quatre des onze juges de la Cour constitutionnelle en 2010 auraient dû être récusés. L’un des quatre a même demandé l’autorisation de s’abstenir de statuer sur la loi en cause, mais a essuyé un refus. L’article 219 de la Ley Organica 6/1985 del Poder Judicial (LOPJ) [loi organique 6/1985 sur le pouvoir judiciaire[4]] contient les motifs de récusation suivants :

  • être intervenu en qualité de procureur dans la procédure[5];
  • avoir occupé une charge publique, occupé un emploi ou exercé une profession par laquelle il ou elle a participé directement ou indirectement à l’affaire qui fait l’objet de la poursuite ou de l’affaire ou à une autre affaire qui s’y rapporte[6];
  • avoir occupé un poste public ou administratif dans lequel il ou elle a pu avoir connaissance de l’objet du litige et se forger une opinion au détriment de l’impartialité requise[7].

Le premier juge n’est autre que l’actuel président de la Cour, Conde Pumpido. En 2010, le président Pumpido était Procureur général de l’État. À ce titre, il a participé activement à la rédaction de cette loi sur l’avortement. Comme l’exige la loi espagnole, le président Pumpido aurait dû se récuser pour manque d’impartialité, mais sa récusation n’a jamais eu lieu.

La deuxième juge, Concepción Espejel, a exprimé sa volonté de s’abstenir de siéger lors des débats sur l’appel car, en tant que membre du Conseil général de la magistrature en 2010, elle manquait d’impartialité[8]. La Cour constitutionnelle a toutefois estimé que l’abstention de la juge Espejel était « injustifiée » et les juges ont rejeté sa demande de récusation. À l’instar de la juge Espejel, la juge Inmaculada Montalbán était également membre du Conseil général de la magistrature, mais elle n’a pas demandé son abstention.

Enfin, le juge Juan Carlos Campo Moreno était auparavant membre adjoint du même parti politique (PSOE) qui a promulgué la loi sur l’avortement de 2010. En tant que parlementaire, le juge Moreno a été membre des commissions constitutionnelle, intérieure et du ministère de la justice des XIe, XIIe et XIIIe législatures[9]. Lorsque la loi de 2010 a été approuvée, le juge Moreno était secrétaire d’État au ministère de la Justice. Son rôle en tant que secrétaire consistait notamment à examiner les avant-projets des lois et à les proposer au Conseil des ministres. On ne peut pas participer à la rédaction d’une loi, être membre du parti qui a approuvé cette loi tout en demeurant impartial sur le sujet[10]. Le juge Moreno aurait manifestement dû se récuser pour manque d’impartialité.

La réponse des ONG et des responsables

Avant que la Cour ne rende son arrêt, plusieurs hauts fonctionnaires et associations ont fait appel, demandant la récusation des juges susmentionnés en raison de leur manque d’impartialité. Mais sans donner d’autres justifications, la Cour a rejeté les récusations, les jugeant « irrecevables ». Il faut bien noter que si la Cour avait procédé aux récusations appropriées, elle n’aurait pas atteint le quorum minimum de huit membres requis par la loi pour pouvoir statuer sur l’appel.

En réponse au manque d’impartialité de la Cour dans son arrêt, l’Asamblea por la Vida, la Libertad y la Dignidad (ACdP) [Assemblée pour la vie, la liberté et la dignité] composée de plus de 140 organisations, a adressé une plainte écrite à la Cour. Cette plainte a été envoyée avant que la Cour n’ait rendu son arrêt et faisait appel à la conscience des juges, indiquant les causes de récusation[11]. La Cour n’a jamais répondu à la lettre de l’Assemblée.

Ces onze juges, avec sept voix pour et quatre contre, ont statué que la loi sur l’avortement de 2010 était constitutionnelle. En outre, comme indiqué ci-dessus, la Cour a créé un droit à l’avortement qui n’existe pas dans le texte constitutionnel espagnol. Comme l’ont écrit les juges dissidents , la Cour a outrepassé « la portée et les limites du contrôle de constitutionnalité [...] en reconnaissant un nouveau droit constitutionnel, qui échappe aux marges du contrôle de constitutionnalité [...] puisque la reconnaissance de nouveaux droits fondamentaux est un pouvoir du pouvoir constituant, [...] pas de la Cour constitutionnelle[12] ».

Ce manque d’impartialité n’est pas passé inaperçu auprès de nombreux responsables publics et de l’ACdP. Plusieurs personnalités publiques et l’AcdP ont déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme pour dénoncer ces gravement manquement à l’indépendance qui rendent nulle et non avenue une telle décision. Ils ont également déposé une plainte auprès du Parlement européen ; et écrit une lettre au Commissaire européen à la justice. Comme ils l’écrivent : « L’impartialité et son l’apparence d’impartialité devant la société, qui sont essentielles dans un État de droit [...] ont été bafouées par la plus haute juridiction appelée précisément à être la garante du respect de la loi[13]. »

Par Enrique Tudela Saladich

___________

[1] B.O.E. 2010, 55. https://www.boe.es/eli/es/lo/2010/03/03/2/con

[2] B.O.E. 1985, 184. https://www.boe.es/eli/es/o/1985/07/31/(2)

[3] Habituellement, il y a douze juges à la Cour, mais au moment où la loi sur l’avortement a été jugée, le juge Alfredo Montoya Melger a démissionné pour raison médicale et son poste n’avait pas été pourvu par un nouveau juge.

[4] B.O.E. 1985, 157 art. 219. BOE-A-1985-12666 Ley Orgánica 6/1985, de 1 de julio, del Poder Judicial.

[5] Id. § 6ª.

[6] Id. § 13ª.

[7] Id. § 16ª.

[8] Sa demande d’abstention était basée sur l’art LOPJ. 219 § 16ª.

[9] Il a occupé de nombreux postes au sein du PSOE, notamment : porte-parole du groupe socialiste au PSOE et membre suppléant de la députation permanente. Secrétaire général des relations avec le Parlement du gouvernement régional andalou (2014-2015), directeur général des relations avec l’administration de la justice du gouvernement régional andalou (1997-2001). Il ne faut pas oublier que la loi qui fait l’objet de l’IR 4523/2010 était un projet approuvé par le gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en Conseil des ministres le 26 septembre 2009, sur proposition des ministres de l’égalité, de la Justice, de la santé et de la politique sociale. Enfin, il a été secrétaire d’État à la Justice (2009-2011).

[10] Cela va directement à l’encontre de l’art LOPJ. 219 §  6ª, 10ª, 13ª, 16ª.

[11]Asamblea Por la Vida, la Libertad y la Dignidad [Assemblée pour la vie, la liberté et la dignité], Recours devant la Cour constitutionnelle, 5521-2023 (16 mars 2023).

[12] C.S.T. 9 mai 2023 (B.O.E. No. 139, p. 83708 à 83763), https://www.boe.es/diario_boe/txt.php?id=BOE-A-2023-13955.

[13] Recours devant la Cour constitutionnelle, p. 19.

Pour la protection de toute vie humaine
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