Espagne : L'IVG n'est pas sans risque
« L’interruption de grossesse est une intervention chirurgicale qui ne laisse aucune séquelle. Par conséquent, lorsque vous serez enceinte, ce sera comme si vous n’aviez jamais avorté auparavant. Il n’y a pas non plus de risque de stérilité si vous avortez une ou plusieurs fois. L’avortement est l’opération la plus courante en Espagne. Il ne laisse aucune séquelle et le taux de complications est très faible ».
Ces phrases[1] pouvaient être lues en 2017 dans la section FAQ du site web de l’association espagnole des cliniques d’avortement ACAI (« Asociación Española de clínicas acreditadas para la interrupción voluntaria del embarazo »)[2]. Il s’agissait d’une réponse aux questions « Combien de fois puis-je avorter ? Quels sont les risques associés ? Est-ce que cela rend stérile ? »
Aujourd’hui, on ne trouve plus ces réponses. La réponse à ces mêmes questions est la suivante :
« il n’y a pas de preuve qu’un nouvel avortement génère plus de risques ou de complications que les risques et complications habituels associés au premier avortement »[3].
On peut facilement constater que les réponses sont totalement incohérentes. Alors que dans le premier cas, l’avortement était considéré comme une opération inoffensive, les risques et les complications sont maintenant admis. Un tel changement d’avis médical devrait sérieusement inquiéter toute personne qui souhaite être renseignée sur l’avortement.
Un tribunal espagnol a condamné les cliniques d’avortement pour « publicité mensongère »
Alors, comment expliquer un tel changement ? Certainement au fait que l’ACAI a été très récemment contrainte, par un jugement rendu par l’Audience provinciale des Asturies (Espagne), de supprimer la réponse initiale parce qu’elle a été considérée comme trompeuse et mensongère pour les patients. Cette affaire a été gagnée par l’Asociación Española de Abogados Cristianos[4] et une autre plaignante, une femme qui a souffert psychologiquement à la suite d’un avortement.
L’Audience provinciale des Asturies a déclaré que, selon les rapports d’experts présentés au tribunal et les dépositions des experts et des témoins, la réponse initiale de l’ACAI peut être considérée comme mensongère pour un consommateur moyen (en particulier une personne qui cherche désespérément une solution rapide et immédiate à une grossesse non désirée ou inattendue). En outre, la Cour a ordonné à l’ACAI de publier les parties pertinentes de l’arrêt sur son site web pendant six mois.
La décision de la Cour est fondée sur l’article 3.e de la loi espagnole sur la publicité et l’article 5 de la loi espagnole sur la concurrence déloyale. Selon la Cour, la publicité faite par l’ACAI est assimilable à de la concurrence déloyale, en raison de la publicité mensongère, car elle a omis de donner des informations pertinentes concernant les risques liés à l’avortement.
Une reconnaissance des conséquences physiques et psychologiques de l’avortement
Le tribunal estime, après examen des preuves recueillies, qu’aucune procédure de chirurgie gynécologique n’est inoffensive (toutes peuvent causer des séquelles).
Il a également été déclaré qu’il est prouvé que les dommages psychologiques sont courants et que la stérilité et d’autres troubles peuvent toucher l’appareil génital féminin. Selon la Cour, bien que les dommages physiques (tels que la perforation de l’utérus) soient statistiquement très rares, les risques de souffrance psychologique et de problèmes familiaux sont aisément identifiables.
Le syndrome post-avortement, la dépression et les pulsions suicidaires sont aussi, malheureusement, très souvent observés par les experts.
Enfin, l’avortement est sérieusement suspecté d’être à la source de l’augmentation des risques de cancer du sein dans le premier mois suivant l’avortement.
À ce jour, l’ACAI a vraisemblablement introduit un recours devant la Cour suprême[5] et la publication exigée de l’arrêt n’est disponible sur le site web de l’ACAI. Toutefois, l’arrêt a été rendu public sur toutes les bases de données juridiques.
Les preuves apportées au tribunal par les experts et les témoins
Aucune de ces conclusions ne semble provenir de « faits notoires » ou de la connaissance personnelle des membres de la Cour (moyens de preuve admis en Espagne), mais d’experts et de témoins invités par les demandeurs. De manière surprenante, les défendeurs n’ont produit aucune preuve pour défendre la véracité de leur déclaration concernant le caractère inoffensif de l’avortement.
Ceci est intéressant car, selon l’article 217.4 du Code de procédure civile espagnol, dans les procédures de concurrence et de publicité déloyales, la charge de la preuve repose sur le défendeur qui doit prouver que sa publicité est exacte et montrer les données matérielles sur lesquelles les déclarations sont fondées.
Le silence de la partie défenderesse, suivi du retrait des déclarations sur son site web, laisse présumer qu’elle n’a pu produire de de document soutenant ses affirmations. À présent, cyniquement, l’avortement est reconnu comme potentiellement risqué par l’ACAI mais, au lieu de souligner les risques, tout ce que l’ACAI est capable de dire est que le deuxième avortement et les suivants ne sont pas plus risqués que le premier. C’est encore une déclaration absurde et fausse. Si un avortement comporte des risques, plusieurs avortements par une même personne augmentent nécessairement ces risques (notamment psychologiques).
De nouvelles portes s’ouvrent pour de nouvelles actions en faveur de la vie
Un autre point pertinent de l’arrêt est qu’il a admis qu’une association créée pour défendre les valeurs chrétiennes dans la société et un particulier qui souffre de séquelles d’un avortement ont le droit légal de se présenter devant le tribunal afin d’intenter des actions civiles contre une publicité en faveur de l’avortement. Le jugement de première instance, rendu par un tribunal de commerce de Gijón, avait rejeté la demande (sans entrer dans le fond de l’affaire), parce qu’il considérait qu’ils n’y avaient pas de droit d’agir.
Pour mieux comprendre l’importance de cette question, il faut savoir qu’en vertu de l’article 32 de la loi espagnole sur la concurrence déloyale, les actes anticoncurrentiels consistant en une publicité mensongère peuvent être dénoncés par toute partie intéressée même si elle n’est pas un concurrent direct du défendeur. La Cour a interprété ces articles comme conférant un statut juridique (et, partant, un intérêt légitime) aux associations et aux victimes. Cela ouvre certainement des portes pour défendre davantage la vie d’innocents qui ne peuvent pas se défendre eux-mêmes.
Par Alfonso Maristany
Alfonso Maristany est diplômé en droit de l’Université de Barcelone (2004) et exerce depuis lors dans le domaine du contentieux et de l’arbitrage civil et commercial dans des cabinets d’avocats espagnols en tant qu’avocat au Barreau de Barcelone. Il est également titulaire d’un diplôme de troisième cycle en contentieux civil (Université Pompeu Fabra, Barcelone, 2005) et a obtenu un LL.M en résolution internationale et comparative des conflits (Queen Mary University of London, 2009). Il parle couramment l’espagnol, le catalan, l’anglais et le français.
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[1] Toutes les traductions de l’article sont libres (de l’espagnol vers le français).
[2] Association espagnole des cliniques accréditées pour l’interruption volontaire de grossesse.
[3] Voir https://www.acaive.com/preguntas-frecuentes/#toggle-id-15, consulté le 9 juin 2020.
[4] Association espagnole des juristes chrétiens.
[5] L’ACAI a déclaré publiquement son intention de faire appel sur https://www.acaive.com/acai-recurrira-el-fallo-de-la-audiencia-provincial-de-oviedo-ante-el-tribunal-supremo-2/acai-en-la-prensa/