CEDH

Pour la reconnaissance de la personnalité juridique du fœtus in utero

Personnalité juridique fœtus in utero

Par Delphine Loiseau1586332800000
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Selon M. Boštjan M. Zupančič, ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la pratique de l’avortement pose la question de l’existence de la personnalité juridique de l’enfant à naître, ou dit autrement de savoir s’il est titulaire de droits et de devoirs, dont celui de vivre. Le présent texte a pour objet de reprendre divers de ses arguments en faveur d’une reconnaissance de la personnalité juridique du fœtus in utero, tels qu’il les a développés dans son livre : « Sur la Cour européenne des droits de l’homme : rétrospective d’un initié, 1998-2016 » paru en décembre 2018 chez l’Harmattan[1]. Pressenti pour être rapporteur aux Nations unies, sa position sur l’avortement rendu publique l’a semble-t-il disqualifié[2].

Les paradoxes de la CEDH

Tout d’abord, selon l’esprit des rédacteurs de la Convention européenne des droits de l’homme, la naissance ne devait pas être le point de départ de la personnalité juridique. Selon le juge Zupančič, les pères fondateurs de la Convention ont laissé entendre que l’embryon et le fœtus, bien qu’étant in utero, étaient titulaires des droits de l’homme, dont celui du droit à la vie tel que prévu par l’article 2 de la Convention. Au moment de la rédaction de la Convention européenne, l’avortement faisait l’objet d’une large répression pénale en Europe. De plus, l’absence de l’avortement parmi la liste des exceptions au droit à la vie (art. 2§2)[3] montre que l’avortement n’est pas protégé par la Convention. Pour l’ensemble de ces raisons, la Convention devrait donc s’appliquer raisonnablement à toutes les personnes – dont l’enfant à naître.

Pourtant, dans l’arrêt Vo c. France[4] de 2005, la CEDH estime qu’elle n’a pas besoin de répondre à la question de la personnalité juridique de l’enfant à naître car « la protection de l’enfant peut se faire à travers la mère ». La Cour considère ainsi que l’enfant n’a pas à faire l’objet d’une protection particulière alors même que la mère ne souhaite pas forcément protéger son enfant. Dans la présente affaire, l’un des juges Georg Ress avait rendu une opinion dissidente dans laquelle il disait clairement que « la notion de « toute personne » a été perçue dans l’histoire juridique comme englobant aussi l’être humain dans la phase antérieure à sa naissance et, surtout, la notion de « vie » s’étend à toute vie humaine qui commence avec la conception, c’est-à-dire avec le moment où se développe une existence indépendante, et qui finit avec la mort, la naissance n’étant qu’une étape de développement […] En plus, le problème de la protection de l’embryon dans le cadre de la Convention ne peut pas être résolu seulement à travers la protection de la vie de la mère. L’embryon et la mère étant deux « êtres humains » différents, comme le montre cette affaire, ils ont besoin d’être protégés chacun séparément »[5].

L’affaire Lambert et autres c. France de 2015[6] a mis en lumière un autre paradoxe. D’un côté, la Cour a considéré que Vincent Lambert, en état pauci-relationnel, était dotée de la personnalité juridique mais qu’il n’avait pas pour autant de droit à la vie ; et de l’autre, elle refuse au fœtus in utero, qui présente des signes vitaux neurologiques supérieurs à ceux de Vincent Lambert, d’être reconnu comme une personne dotée de la personnalité juridique. La Cour fait donc de la naissance le critère pour que l’enfant soit considéré comme une personne, à qui l’on peut reconnaître la personnalité juridique. Et pourtant le fœtus a déjà une grande activité cérébrale à 12 semaines et l’aspect d’un petit bébé[7]. On sait d’ailleurs qu’au niveau psychologique, tout ce que le bébé vit et ressent in utero a un fort impact sur sa vie[8]. Il est une personne à proprement parler. En outre, à un certain stade de développement du fœtus, il est même nécessaire de le tuer in utero avant de procéder à son expulsion du corps de la femme.

Droit romain

En droit romain, selon Julius Paulus Prudentissimus (II-IIIème siècles ap. JC), celui qui va naître est considéré en ce qui concerne ses droits, comme déjà né (Nasciturus pro iam nato habetur quomodo de iuris eius agitur). Ce juriste reconnaît explicitement à l’enfant à naître une personnalité juridique sans équivoque, la fiction ne résidant que sur la naissance qui n’a pas encore eu lieu mais non sur son existence. Cet adage a été adapté et conservé en droit français, permettant à l’enfant conçu au moment du décès de son parent d’être considéré comme un héritier (art. 725 du Code civil). Comment l’enfant à naître ne pourrait-il se voir reconnu que certains droits in utero dont celui d’hériter - sous condition qu’il naisse vivant et viable -, mais non celui de vivre ? Soit l’enfant à naître est doté de la personnalité juridique dès sa conception et peut donc hériter, soit il ne l’est pas et dans ce cas, aucun droit ne devrait lui être accordé.

Le consentement de la mère 

Lorsque l’enfant à naître présent dans le sein de la femme est tué, il convient de distinguer selon que la mère y a consenti ou non. Ainsi, si le décès de l’enfant procède d’un avortement forcé subi par la mère du fait d’un tiers, l’avortement pourra alors être qualifié d’infraction pénale, d’homicide involontaire[9] mais également de délit de droit civil. Mais si la mère consent à son avortement, dans ce cas il n’existe plus d’atteinte pénale ou délictuelle. En somme, la présence ou l’absence du consentement de la mère concernant l’avortement a un impact sur la nature juridique du fœtus. Dans un cas il n’a pas d’existence juridique et dans l’autre elle lui est reconnue. Cela dénote une incohérence, l’existence (juridique) de l’enfant ne peut dépendre d’un consentement, mais seulement d’une réalité objective.

Les droits des animaux et les droits de l’enfant à naître

Les animaux font l’objet d’une protection juridique de plus en plus grande. Ainsi, tant des tribunaux que des parlements de différents États ont accordé la personnalité juridique à des dauphins ou à des singes[10]. Ils ne sont plus simplement des objets, des biens meubles. Cette personnalité juridique qui en principe rend la personne titulaire de droits et d’obligations (comment un animal pourrait-il en être titulaire ?) est une fiction juridique ayant pour objet de protéger les animaux de la cruauté, de la torture ou encore de traitements dégradants. Si la finalité est louable, le moyen est inadapté puisque ces animaux ne pourront jamais revendiquer eux-mêmes ces droits. Le traitement est tout autre pour l’enfant à naître qui se voit dénier la personnalité juridique et même, a minima, une protection juridique[11]. Il paraît incongru que tant de personnes aujourd’hui cherchent à protéger les animaux sans chercher à protéger le bébé humain.

La réalité de l’avortement

Penser que l’avortement permet à la femme de ne plus être enceinte, que l’enfant n’existe plus est un mensonge. Il fait seulement d’elle la mère d’un enfant mort. En outre, le principe de la libre disposition du corps de la femme par elle-même comme justifiant l’avortement est une fiction intenable. Il y a le corps de la femme et le corps du fœtus : ce sont deux corps distincts. Leurs patrimoines génétiques sont différents, ils ont deux cœurs différents. Même si légalement, seule la femme possède la personnalité juridique, il y a deux personnes et donc deux sujets de droits. La dénier à l’enfant à naître est une fiction.

____

[1] Boštjan M. Zupančič, « Sur la Cour européenne des droits de l’homme : rétrospective d’un initié, 1998-2016 », L’Harmattan, déc. 2018, partie R, p. 315-345.

[2] Candidate for Special Rapporteur on the independence of judges and lawyers : https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/SP/Pages/HRC29.aspx https://www.ohchr.org/_layouts/15/WopiFrame.aspx?sourcedoc=/Documents/HRBodies/SP/CallApplications/HRC29/Judiciary/ZUPANCICBostjan.doc&action=default&DefaultItemOpen=1

(consultés le 16/01/2020).

[3] Article 2 de la Convention EDH :

«1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

  1. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

[4] CEDH, Vo c. France [GC], n° 53924/00, 8 juillet 2004, §10.

[5] Opinion dissidente du juge Georg Ress sous l’arrêt Vo c. France, précité, §3 et 4.

[6] CEDH, Lambert et autres c. France [GC], n°46043/14, 5 juin 2015.

[7] L’âge de 12 semaines a été choisi car il s’agit du délai légal pour avorter en France (art. L2212-1 du Code de la santé publique) et voir : https://www.youtube.com/watch?v=mLTtjbHBP1g (consulté le 15/01/2020).

[8] http://theconversation.com/dans-le-ventre-de-sa-mere-le-foetus-associe-sons-et-emotions-76633 (consulté le 15/01/2020).

[9] Pour le seul exemple de la France, l’avortement qui a été pratiqué sans le consentement de la femme est un délit, puni de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende (art. 223-10 du Code pénal), voir également les différentes interprétations de la Cour de cassation pour retenir ou refuser selon les cas la qualification d’homicide involontaire lorsque le fœtus in utero mourrait des suites d’un accident de voiture (notes 57 et s. sous l’article 221-6 du Code pénal, Dalloz, 2017).

[10] https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Environnement/Peut-accorder-statut-personnalite-juridique-fleuve-foret-2017-04-24-1200841868 (consulté le 15/01/2020).

[11] On le voit avec la possibilité d’avorter de plus en plus tard voire jusqu’au terme de la grossesse, mais également avec l’ajout proposé par Yval Shany, membre israélien du Comité des droits de l’homme des Nations unies (CCPR), qui fut accepté dans les observations générales de l’article 6 de permettre l’avortement sans limite de temps en cas de douleur ou souffrance de la femme enceinte.

Appel à une politique de prévention de l’avortement
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