CEDH

L’avortement eugénique et l’objection de conscience devant la CEDH ; à propos de l’affaire B.B. contre Pologne

B.B. c. Pologne: eugénisme & objection

Par Nicolas Bauer1603879307906

Dans l’affaire pendante B.B. contre Pologne[1], la loi polonaise sur l’avortement et l’objection de conscience est contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). En substance, la requérante se plaint d’avoir souffert de la naissance et de la mort de son fils handicapé. Elle estime que le système de santé polonais en est responsable, du fait du refus d’un médecin de pratiquer l’avortement après 24 semaines de grossesse.

L’ECLJ, autorisé par la Cour à intervenir dans cette affaire en tant que tierce-partie, a déposé ses observations écrites en septembre 2020. Celles-ci apportent une expertise juridique qui prend de la hauteur avec la vaste campagne politico-médiatique dans laquelle cette affaire est née en 2014 et dont cette procédure à la Cour n’est que le prolongement.

 

La demande d’avorter un enfant après la découverte de son handicap à 22 semaines de grossesse

La requérante, « B.B. », après avoir fait quatre fausses couches, a conçu un enfant par fécondation in vitro (FIV) dans une clinique privée début novembre 2013, alors qu’elle avait 38 ans. À 22 semaines de grossesse, un examen prénatal révéla un grave handicap de l’enfant.

La requérante a souhaité avorter, mais le docteur Bogdan Chazan, qui était alors directeur de l’hôpital de la Sainte Famille de Varsovie, a refusé de pratiquer un tel avortement, par respect pour l’enfant à naître et pour éviter les « dommages que l’avortement pouvait causer à la mère, surtout à cet âge de la grossesse » (voir l’annexe aux observations). Un tel avortement aurait été illégal dans la mesure où l’enfant aurait été viable en dehors du corps de sa mère, celui-ci ayant d’ailleurs dépassé le seuil de viabilité fixé par l’OMS à 20 semaines.

Le docteur a toutefois pris en compte la volonté de Mme B.B. de ne pas poursuivre la grossesse jusqu’à son terme, en mettant fin à ses médicaments anti-contraction et en retirant le cerclage du col de l’utérus qui, posé précédemment, prévenait une éventuelle fausse couche naturelle. C’est finalement le 30 juin 2014 que le fils de la requérante est né prématurément, par césarienne, un mois avant le terme. Il a reçu des soins palliatifs et est décédé le 9 juillet de la même année.

La souffrance de Mme B.B. est réelle. En effet, l’enfant qu’elle avait conçu a été atteint d’un lourd handicap, elle l’a vu naître handicapé et traité de « monstre » dans les médias, et il est décédé dix jours après sa naissance. Mme B. B. ne se plaint pas de la souffrance de son enfant handicapé, qui bénéficiait de soins palliatifs, mais de sa propre souffrance. Elle prétend qu’elle aurait moins souffert si l’enfant avait été avorté.

 

La souffrance d’une femme instrumentalisée pour un contentieux stratégique

Encouragés par des médias et des associations, la requérante a utilisé ou s’est associée à plusieurs recours. Une procédure non judiciaire auprès d’un Médiateur a abouti au constat de la violation de droits de la requérante (06/14 – 18/15), puis à des poursuites disciplinaires contre le docteur Chazan, abandonnées par la suite (05/15). Une procédure en responsabilité civile a abouti à un règlement amiable entre l’hôpital et la requérante (04/17). Par ailleurs, une procédure pénale, initié séparément par un parti politique polonais de gauche, a été abandonnée par le procureur (04/15).

Les droits de la requérante, en tant que patiente, ont été reconnus. Elle a aussi librement accepté le règlement amiable d’avril 2017, ce qui a mis fin à la procédure civile en Pologne. La campagne politico-médiatique qui a soutenu Mme B.B. a par ailleurs abouti à ce que l’ancienne maire de Varsovie démette le docteur Chazan de ses fonctions de directeur d’hôpital (07/14). Elle a donc obtenu et accepté une compensation et une réparation, autant sur le plan judiciaire que sur le plan politique et symbolique.

La requête de Mme B.B. à la CEDH est en réalité un contentieux stratégique, c’est-à-dire un recours judiciaire employé afin d’atteindre un objectif plus global de nature politique. L’avocat de la requérante à la Cour est Marcin Szwed, qui fait partie de l’équipe de contentieux stratégique de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme (Pologne)[2]. D’après cette ONG, se saisir d’un cas concret et le porter jusqu’à la CEDH est une « méthode permettant d’obtenir des décisions novatrices en vue de modifier les lois et les pratiques »[3].

Le contentieux stratégique est ici utilisé pour promouvoir l’avortement d’enfants handicapés. Le premier avocat de la requérante, en Pologne, est Marcin Dubieniecki, est d’ailleurs aujourd’hui en prison pour crime organisé impliquant l’extorsion de fonds à 248 personnes handicapées. Il a déjà effectué seize mois de prison ferme et risque quinze ans supplémentaires. Il est lui aussi soutenu par la Fondation Helsinki[4].

 

Une requête manifestement irrecevable, dont la communication révèle une politisation de la CEDH

La première cause d’étonnement porte sur le fait que la CEDH a accepté de juger cette affaire alors même qu’aucune décision de justice polonaise n’est attaquée.

En principe, un recours n’est recevable à la CEDH que s’il vise une décision de justice interne et définitive. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce puisque Mme B.B. a conclu un accord avec l’hôpital.

Cette affaire est donc manifestement irrecevable, et il est incompréhensible qu’elle ait été accueillie favorablement par le greffe de la Cour selon des critères juridiques. Seuls des motivations idéologiques peuvent l’expliquer, ce qui est fort probable car on trouve parmi les juristes de la Cour en charge des affaires polonaises une militante radicale telle que Katarzyna Szwed qui est membre de la « Brigade révolutionnaire féministe » (Feministyczna Brygada Rewolucyjna) et porte-parole de manifestations polonaises pour l’avortement[5] ou contre le christianisme. Elle fut l’une des organisatrices des manifestations du 23 mars 2018 en faveur de l’avortement (dit vendredi noir), et déclara notamment que l’Église « est l’ennemie des droits des femmes et des droits de l'homme »[6].

Cette requête de contentieux stratégique pose un autre problème d’éthique judicaire[7] car deux juges susceptibles de siéger dans cette affaire ont été membres du conseil d’administration d’organisations proches de la Fondation Helsinki qui représente la requérante. Ksenija Turković et Tim Eicke ont été administrateurs respectivement de l’Open Society Institute de Croatie et d’Interights, qui ont en commun avec la Fondation Helsinki de Pologne[8] d’être financés par l’Open Society Foundation (OSF) de George Soros. D’après l’Open Society, ces liens de dépendance financière visent à établir de véritables « alliances pour atteindre des objectifs stratégiques du programme de l’open society[9] ». Si ces deux juges siègent dans l’affaire B.B., un doute planera quant à l’impartialité de la Cour.

 

L’occasion pour l’ECLJ de rappeler quelques principes sur l’avortement et le droit à la liberté de conscience

Étant donné que la requérante et l’hôpital sont parvenus à un accord, la requérante n’a plus la qualité de « victime » au sens de la Convention, et la Cour devrait déclarer cette requête irrecevable. Cependant, à supposer que cette requête soit déclarée recevable et fasse l’objet d’un examen sur le fond, l’ECLJ a profité de ses observations écrites pour rappeler quelques principes sur l’avortement et sur le droit à la liberté de conscience.

L’ECLJ s’est fondé sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle la Convention européenne ne peut pas être interprété comme conférant un « droit à l’avortement[10] » et l’enfant à naître ne peut pas être exclu par principe du droit à la vie au sens de l’article 2[11]. Dans tous les cas « le droit de la femme enceinte au respect de sa vie privée devrait se mesurer à l’aune d’autres droits et libertés concurrents, y compris ceux de l’enfant à naître[12] ». Pour effectuer une telle « mesure », le législateur national jouit d’une ample marge d’appréciation[13].

En ce qui concerne la liberté de conscience, l’ECLJ a rappelé à la Cour que, d’après sa jurisprudence, si un État choisit de légaliser l’avortement, c’est sur lui que repose l’obligation de concilier l’accès à cette pratique avec l’exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé[14]. Ce n’est donc pas le docteur Chazan qui devait être tenu pour responsable de donner accès à l’avortement à la requérante.

Enfin, du fait du règlement amiable entre l’hôpital et la requérante, les faits n’ont pas été établis par la justice polonaise, et la CEDH se fondera donc uniquement sur le témoignage de la requérante. Pour cette raison, l’ECLJ a mis à disposition de la Cour un témoignage complémentaire du docteur Chazan, avec son accord. Celui-ci, après avoir décrit les faits, livre une réflexion sur la mission de la médecine, au service de la vie, en particulier celle des enfants à naître.

L’ECLJ a aussi souligné la nécessité de protéger l’enfant à naître de la souffrance de l’avortement, car l’avortement, surtout lorsqu’il est tardif, est traumatisant pour l’enfant et pour la femme. En France, en cas d’avortement tardif, le fœtus est généralement tué par injection létale dans le cœur ou dans le cordon ombilical, puis la naissance est provoquée. Dans certains pays, une méthode plus brutale est employée, appelée dilatation-évacuation[15]. Cette méthode consiste à dilater le col de l’utérus puis à extraire avec une pince les membres du fœtus. Pour terminer l’avortement, le médecin s’assure qu’il ne manque rien. S’il n’y a pas eu d’injection préalable pour causer le fœticide (comme en Angleterre), ou si l’injection n’a pas causé la mort du fœtus[16], cela signifie que le fœtus était vivant pendant qu’il était démembré. Cette méthode effrayante et cruelle est inhumaine et constitue une véritable torture.

Il est difficile de soutenir que la pratique d’un tel avortement aurait été davantage respectueuse de l’enfant que sa naissance accompagnée de soins palliatifs, et lui aurait causé moins de souffrance. La description de cette pratique permet aussi de comprendre les motifs de l’objection de conscience des médecins.

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[1] B.B. c. Pologne, n° 67171/17, requête communiquée le 29 janvier 2020.

[2] Voir l’annexe n° 5 du rapport de l’ECLJ « Les ONG et les juges de la CEDH 2009 – 2019 » : Delphine Loiseau, « L’équipe de « Strategic litigation » de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme (Pologne) et les affaires devant la CEDH entre janvier 2017 et décembre 2019 », janvier 2020.

[3] Extrait du rapport Strategic Litigation de 2018 de la Fédération Helsinki pour les droits de l’homme (Pologne), p. 3 : “Strategic litigation as a method of obtaining ground-breaking decisions with a view to changing laws and practices could in no way do without the use of such a measure as the ECtHR application”. Voir également le rapport de l’OSJI « Global Human Rights Litigiation Report », avril 2018 : https://www.justiceinitiative.org/uploads/4e9483ab-a36f-4b2d-9e6f-bb80ec1dcc8d/litigation-global-report-20180428.pdf (consulté le 01/02/2020).

[4] Jacek Wierciński, Marcin Dubieniecki siedzi w areszcie bezprawnie? Helsińska Fundacja Praw Człowieka ma wątpliwości, Dziennik Zachodni, 30 septembre 2015.

[5] Voir par exemple : « Manify w obronie praw kobiet w Gdyni, Katsowicach, Łodzi i Wrocławiu », Polska Agencja Prasowa, 9 mars 2019.

[6] Voir ici l’un de ses discours (23 mars 2018).

[7] Sur ce sujet, voir le rapport de l’ECLJ « Les ONG et les juges de la CEDH 2009 – 2019 » (Grégor Puppinck, Delphine Loiseau, février 2020).

[8] Voir par exemple les informations publiées par l’OSF et le registre de transparence de l’Union européenne pour l’année 2017.

[9] Voir : Open Society Institute, « Partnerships », p. 3, consulté le 01/02/2020 (traduction libre).

[10] A., B. et C. c. Irlande [GC], no 25579/05, 16 décembre 2010, § 214.

[11] H. c. Norvège (déc.), n° 17004/90, 19 mai 1992, p. 167 ; Vo c. France [GC], n° 53924/00, 8 juillet 2004, § 75.

[12] A., B. C. [GC], op. cit., § 213.

[13] Ibid., § 249.

[14] R. R. c. Pologne, n° 27617/04, 26 mai 2011, § 206 ; P. et S. c. Pologne, n° 57375/08, 30 octobre 2012, § 106.

[15] Voir par exemple : Department of Health, Abortions Statistics, England and Wales: 2013, Table 7a p. 25, published June 2014.

[16] Selon une étude, l’injection provoque vraiment la mort dans 87 % des cas. Ce qui signifie que dans 13 % des cas, l’enfant survit. Nucatola D, Roth N, Gatter M. “A randomized pilot study on the effectiveness and side-effect profiles of two doses of digoxin as fetocide when administered intraamniotically or intrafetally prior to second-trimester surgical abortion”. Janvier 2010, 81(1):67-74.

 
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