Bonnes nouvelles pour la protection des enfants contre la pornographie !
L’actualité de ce début d’été 2025 est marquée par plusieurs victoires dans la bataille pour protéger les enfants contre la pornographie sur internet. En France, dans l’Union européenne ou aux Etats-Unis, les lignes bougent quant à la vérification de l’âge des internautes par les sites pornographiques.
Le 15 juillet 2025, dans un énième épisode du feuilleton français relatif à l’obligation pour les sites pornographiques de vérifier l’âge de leurs internautes, le Conseil d’État a rétabli une telle obligation à la charge des sites basés dans un autre pays de l’Union européenne. Il avait été saisi par le gouvernement, à la suite d’une décision prise le 16 juin par le tribunal administratif de Paris dans le cadre d’un référé initié par la société Hammy Media, propriétaire de site pornographique. Le tribunal avait prononcé la suspension de l’arrêté interministériel du 26 février 2025 prévoyant cette obligation pour dix-sept sites. Cette décision paraissait avoir été obtenue au forceps puisque l’entreprise avait dû s’y reprendre à deux fois pour l’obtenir : dans une décision du 2 mai passée relativement inaperçue, le TA de Paris avait tout d’abord refusé de prononcer la suspension de ce texte, en l’absence de situation d’urgence. Alors que l’entrée en vigueur prochaine de l’arrêté avait mené le groupe Aylo à suspendre début juin la diffusion en France de ses plateformes pornographiques en signe de contestation, la décision du 16 juin avait conduit au rétablissement de celles-ci. Finalement, le Conseil d’État a donc tenu compte du fait que le texte attaqué n’interdit pas la diffusion de pornographie aux majeures et considéré que la condition d’urgence, nécessaire pour prononcer la suspension demandée par l’industrie pornographique, n’est pas remplie : « la société (…) ne démontre pas que cette mesure porte une atteinte grave et immédiate à sa situation économique ». Depuis le 15 juillet, l’internaute qui souhaite consulter Pornhub se retrouve à nouveau face à un écran indiquant « La liberté a un bouton off, pour l’instant ».
Un nouvel épisode de ce feuilleton se jouera prochainement, dans lequel la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) tiendra le premier rôle puisqu’elle a été saisie par la France d’une question préjudicielle sur la question de la réglementation par le droit français de l’accès aux sites pornographiques basés ailleurs dans l’Union européenne. En effet, pour esquiver le droit français prévoyant la vérification de l’âge, l’industrie pornographique invoque le « principe du pays d’origine » résultant de la directive de 2000 sur le commerce électronique tel qu’interprété par la CJUE dans l’arrêt du 9 novembre 2023 Google Ireland. Elle y avait jugé en substance que ce principe empêche que, dans le domaine coordonné par la directive, des mesures en vigueur dans un État membre s’appliquent à des services établis dans un autre Etat membre. La Cour semblait ainsi faire prévaloir la libre circulation des services numériques sur la protection des enfants, tandis que certains y voyaient une façon de signifier à l’Union européenne qu’elle doit légiférer pour protéger les enfants.
Légiférer est précisément ce qu’a entrepris le Parlement européen le 17 juin 2025. Tirant profit de la refonte de la directive européenne de 2011 relative à la lutte contre les abus et l’exploitation sexuels des enfants, les députés européens ont adopté un amendement à ce texte qui prévoit que les États incriminent le fait de diffuser de la pornographie en ligne sans mise en place d’un outil robuste de vérification de l’âge. Les députés européens semblent avoir pris conscience du lien indéniable entre l’exposition des enfants à la pornographie et les abus et l’exploitation sexuels dont ils sont victimes. En effet, une telle exposition est elle-même une violence sexuelle. Elle apparaît aussi comme une des causes de violences sexuelles commises sur des enfants, notamment par d’autres enfants reproduisant les comportements vus en ligne. Toute prévention des abus sexuels implique donc nécessairement d’empêcher les mineurs d’accéder à la pornographie en ligne. L’ECLJ est heureux d’avoir contribué avec succès à l’adoption de cet amendement, grâce à diverses prises de contact au Parlement européen, une tribune dans la presse, ainsi que la conférence du 10 juin au Parlement européen organisée par la députée européenne Margarita de la Pisa (Espagne, Vox) en collaboration avec l’ECLJ sur le thème « L’exposition des enfants à la pornographie : une forme d’abus sexuel ? ». Il s’agit d’une victoire d’étape, mais la vigilance reste de mise puisque des négociations avec le Conseil doivent encore avoir lieu avant l’adoption définitive du texte.
D’un point de vue pratique, la Commission européenne s’investit également dans la protection des mineurs en ligne puisque, le 14 juillet, elle a publié des lignes directrices en la matière et présenté le prototype d’une application de vérification de l’âge. Ces dispositifs doivent permettre une application correcte et efficace du Règlement européen sur les services numériques adopté en 2022, dont l’article 28 dispose que « Les fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs mettent en place des mesures appropriées et proportionnées pour garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des mineurs sur leur service » (alinéa 1). Les lignes directrices, sur lesquelles la Commission se fondera en cas d’examen de la conformité des plateformes au règlement, comportent une liste non-exhaustive de mesures recommandées pour protéger les enfants en ligne, notamment contre les contenus nocifs, dont la pornographie qui est particulièrement visée. Quant à l’application européenne de vérification de l’âge en ligne, elle entre en phase de test en France, Italie, Espagne, Grèce et au Danemark. Elle se veut robuste et respectueuse de la vie privée. Elle se base sur le principe du double anonymat selon lequel l’émetteur de la preuve de majorité n’en connaît pas le destinataire qui ne reçoit aucune autre donnée personnelle sur l’utilisateur. L’application pourra être personnalisée par les États et intégrée à une application nationale ou proposée de manière autonome.
Outre-Atlantique enfin, la Cour Suprême des États-Unis a jugé le 27 juin, dans une décision Free Speech Coalition v. Paxton, qu’obliger les sites internet pornographiques à vérifier la majorité de leurs utilisateurs est conforme à la Constitution, en particulier au Premier Amendement protégeant le droit à la liberté d’expression. La Cour n’a donc pas donné raison à l’industrie pornographique qui attaquait la loi du Texas H.B. 1181, en soutenant qu’elle avait pour effet d’entraver de manière inadmissible l’accès des adultes à des contenus auxquels ils ont le droit d’accéder.
Appliquant le principe logique selon lequel ce qui est interdit hors ligne doit aussi être interdit en ligne, la Cour a constaté que le Texas n’a fait qu’adapter au monde digital une obligation existant déjà dans le monde réel. Elle a constaté en outre que l’entrave à la liberté d’expression des adultes n’est qu’accessoire puisqu’ils peuvent « accéder pleinement au contenu en question après avoir eu la modeste charge de fournir une preuve de leur âge ». Cette décision rationnelle accorde ainsi la primauté à l’intérêt de l’enfant, alors qu’il est souvent sacrifié en la matière au profit des intérêts des adultes à pouvoir consommer librement de la pornographie, eux-mêmes invoqués par une industrie pornographique qui veille à ses intérêts financiers au prix des droits de l’enfant.