États-Unis: la vérification de l’âge jugée conforme à la Constitution
Dans une décision Free Speech Coalition v. Paxton[1] adoptée le 27 juin 2025 par six voix contre trois, la Cour Suprême des États-Unis a jugé que la loi du Texas H.B. 1181 est conforme à la Constitution, en particulier au Premier Amendement protégeant le droit à la liberté d’expression. Cette loi oblige les sites dont les matériels sexuels préjudiciables aux mineurs forment plus d’un tiers du contenu, à vérifier que leurs utilisateurs sont âgés d’au moins 18 ans.
Une contre-attaque de l’industrie pornographique
Peu après l’adoption de cette loi, « une association professionnelle de l’industrie pornographique, un groupe de sociétés exploitant des sites web pornographiques [dont Pornhub] et un artiste pornographique ont intenté une action en justice contre le procureur général du Texas », en soutenant que « les adultes ont le droit d’accéder au discours couvert par H. B. 1181, et que la loi les en empêche de manière inadmissible » (p. 4).
Les requérants ont invoqué en justice des arguments traditionnellement brandis par l’industrie pornographique lorsqu’elle attaque une obligation de vérification de l’âge (p. 34-35) : existence de moyens moins restrictifs pour protéger les enfants, comme encourager les parents à installer des filtres sur les appareils de leurs enfants ou prévoir un système d’opt-in dans lequel les FAI bloquent ces sites en l’absence de choix contraire de l’utilisateur ; autres types de sites (réseaux sociaux) non soumis à la vérification de l’âge alors même qu’ils recèlent des contenus pornographiques ; menaces sur la vie privée des utilisateurs et stigmatisation entourant la pornographie rendant la vérification de l’âge trop effrayante pour les adultes.
La Cour de District leur donna d’abord raison en jugeant, à l’issue d’un « examen strict » de constitutionnalité, que le Texas ne prouvait pas que la loi en cause constituait le moyen le moins restrictif pour remplir l’objectif impérieux d’empêcher l’accès des mineurs à la pornographie (p. 4). La Cour d’Appel du Cinquième Circuit considéra ensuite qu’il n’y avait pas lieu d’effectuer un tel « examen strict » dès lors que la loi en cause concernait la « réglementation de la distribution aux mineurs de matériel obscène pour les mineurs », qui n’implique qu’accessoirement « la vie privée des adultes » cherchant à accéder au contenu réglementé » et que « les mineurs n’ont aucun droit, en vertu du premier amendement, d’accéder à ce type de matériel » (p. 5).
La vérification de l’âge, une « contrainte » pour les adultes conforme à la Constitution
Cette décision de la Cour d’Appel vient d’être confirmée par les juges majoritaires de la Cour Suprême ralliés à l’opinion rédigée par le juge Thomas. La Cour a ainsi répondu par la négative à la question qui se posait en l’espèce : celle de savoir si la « contrainte » que constitue la vérification de l’âge en ligne pour les visiteurs adultes des sites pornographiques bénéficiant d’un droit protégé par le Premier Amendement à accéder au moins à certains de ces contenus rend inconstitutionnelle la loi texane en cause.
Dans une opinion dissidente, la juge Elena Kagan et deux de ses collègues avancent que la catégorie des contenus obscènes protégés par le 1er Amendement est plus large que celle des contenus obscènes pour un mineur, puisque ce qui est obscène pour un mineur ne l’est souvent pas pour un adulte. Ainsi selon elle, la loi texane attaquée « couvre un discours protégé par la Constitution pour les adultes, entrave la capacité des adultes à visionner ce discours et impose cette charge en fonction du contenu du discours ». En référence à quatre jurisprudences rendues précédemment par la Cour Suprême (Sable Communications of Cal., Inc. v. FCC en 1989 ; Reno v. American Civil Liberties Union en 1997 ; United States v. Playboy Entertainment Group en 2000 ; Ashcroft v. American Civil Liberties Union en 2004), elle affirme que la loi attaquée aurait par conséquent dû faire l’objet d’un contrôle strict de la part de la Cour Suprême. Celle-ci aurait dû en apprécier la proportionnalité, dès lors que « la loi, en plus de servir un objectif impérieux, ne peut restreindre le discours des adultes que dans la mesure où cela est nécessaire pour atteindre l’objectif de l’État. »
Comme l’indique toutefois l’opinion majoritaire (cf. p. 21 et s.), ces précédentes décisions de la Cour suprême avaient été rendues pour certaines alors qu’« internet relevait encore plus d’un prototype que d’un produit fini » (p. 25) et toutes dans des affaires concernant des lois qui interdisaient « à la fois aux mineurs et aux adultes d’accéder à des discours qui n’étaient tout au plus obscènes que pour les mineurs ». De plus, selon la Cour, un tel contrôle strict conduirait à « remettre en question la validité de toutes les mesures de vérification de l’âge, même celles existant de longue date » dans le monde réel (p. 19).
Une décision rationnelle faisant primer l’intérêt de l’enfant
Cette décision de la Cour Suprême américaine doit être saluée, à plusieurs égards. Elle permet d’apporter une clarification à la question de la conformité de la vérification de l’âge en ligne au droit à la liberté d’expression. La Cour adopte en outre un raisonnement rationnel, en constatant que la loi attaquée ne fait qu’adapter au monde digital une obligation existant déjà dans le monde réel. Elle fait ainsi prévaloir le principe logique selon lequel ce qui est interdit hors ligne doit aussi être interdit en ligne : elle affirme que « La preuve de l’âge remplissant la même fonction critique en ligne qu’en personne, l’exigence de vérification de l’âge reste un moyen ordinaire et approprié de protéger les mineurs à l’ère numérique contre les contenus obscènes pour eux » (p. 17). La Cour reconnaît en outre que l’exigence de vérification de l’âge est une solution équilibrée : dès lors qu’elle « garantit qu’une interdiction fondée sur l’âge n’est pas inefficace, tout en permettant aux adultes d’accéder pleinement au contenu en question après avoir eu la modeste charge de fournir une preuve de leur âge » (p. 33), elle n’entrave donc la liberté d’expression que de manière accessoire.
La Cour fait ainsi prévaloir l’intérêt de l’enfant, celui-là même qui est souvent sacrifié au profit de la volonté d’adultes de pouvoir consommer librement de la pornographie et surtout au profit d’une industrie sans scrupule qui défend farouchement ses intérêts financiers au prix du bien-être, de la santé, de la dignité et de l’innocence de millions d’enfants. La présente affaire était un nouvel exemple de sa détermination à « faire tomber tout obstacle à son expansion ». De ce point de vue, la Cour Suprême semble avoir parfaitement saisi l’ampleur du fléau qu’est devenue la pornographie. Elle affirme en effet qu’« Avec l’essor du smartphone et du streaming instantané, de nombreux adolescents peuvent désormais accéder à de vastes bibliothèques de contenus vidéo – qu’ils soient anodins ou obscènes - à tout moment et en tout lieu, avec une facilité qui aurait été inimaginable à l’époque de Reno et d’Ashcroft II » (p. 13). Elle souligne notamment qu’ « en 2019, Pornhub, l’un des sites web impliqués dans cette affaire, a publié 1,36 million d’heures - soit plus de 150 ans - de nouveaux contenus. Un grand nombre de ces vidéos facilement accessibles montrent des hommes violant et agressant physiquement des femmes, ce qui est très éloigné des images fixes qui constituaient l’essentiel de la pornographie en ligne dans les années 1990 » (p. 27). Alors que, comme l’a remarqué la Cour, au moins 21 autres Etats américains disposent déjà de lois similaires destinées à protéger les mineurs de contenus sexuels nocifs en ligne (p. 3), cette décision en encouragera peut-être d’autres à leur emboîter le pas.
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[1] Les numéros de page font référence à l’opinion 606 U.S._(2025), n° 23-1122 : https://www.supremecourt.gov/opinions/24pdf/23-1122_3e04.pdf