CEDH

Comment concilier les libertés d'expression et de religion ?

Entre provocation et respect

Par Nicolas Bauer1518801493731

À propos de l’affaire Sekmadienis Ltd. c. Lituanie

Le 31 janvier 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu un arrêt de chambre dans l'affaire Sekmadienis Ltd. c. Lituanie (n°69317/14) portant sur des publicités commerciales attaquant le christianisme et la moralité publique. La Cour a considéré que les juridictions lituaniennes, en condamnant le fabricant de vêtements à une amende, avaient violé son droit à la liberté d'expression.

 

Les publicités litigieuses, diffusées en septembre et octobre 2012, mettaient en scène Jésus vêtu d'un jean et la Vierge Marie habillée d'une robe blanche, chacun avec des tatouages. L'autorité lituanienne de protection des consommateurs (SCRPA), après avoir reçu des plaintes, a demandé à un comité de régulation de la publicité de donner un avis sur la campagne publicitaire. Ce comité d'experts a considéré que les publicités pouvaient être vues comme humiliantes et dégradantes et qu'elles « [pouvaient] vraiment offenser les croyants ». Sa recommandation était de retirer ces publicités et de « tenir compte de la sensibilité religieuse des croyants [et] d'avoir une attitude plus responsable concernant les sujets liés à la religion dans la publicité » (§ 11). Cet avis, suivi d'autres plaintes, a conduit l'Inspection générale d’État des « produits non-alimentaires » à examiner les publicités et à considérer qu'elles violaient la loi lituanienne sur la publicité en étant contraires à la moralité publique. La société Sekmadienis Ltd. a contesté cette conclusion en précisant notamment que « les personnages représentés ne peuvent pas être sans ambiguïté considérés comme ressemblant à des personnages religieux » et que « les intérêts d'un groupe – les catholiques pratiquants – ne peuvent pas être assimilés à ceux de l'ensemble de la société » (§ 14).  N'étant pas convaincue par ces arguments et après avoir effectué d'autres consultations, notamment de l’Église catholique, la SCRPA a condamné le fabricant de vêtements à une amende.

La société Sekmadienis Ltd. a attaqué en justice la SCRPA en continuant d'affirmer que « les personnages et objets présents sur les publicités n'étaient liés à des symboles religieux » (§ 20), que celles-ci n'étaient donc pas offensantes pour les croyants et que son droit à la liberté d'expression avait été violé. Les juridictions lituaniennes ont considéré que la restriction à la liberté d'expression décidée par la SCRPA était légale et justifiée. Après avoir épuisé tous les recours internes, le fabricant de vêtements a déposé une requête à la CEDH en invoquant l'article 10 de la Convention européennes des droits de l'homme consacrant la liberté d'expression. 

 

Les parties et la CEDH se sont accordées sur le fait que l'amende infligée à la société requérante en raison de ses publicités est une restriction à la liberté d'expression (§ 62), et que cette restriction poursuivait bien des buts légitimes (§ 69). Ces derniers sont la protection de la morale, venant de la foi chrétienne partagée par 83 % de la population[1], et le « droit des personnes religieuses à ne pas être insultées en raison de leurs croyances » (§ 69), autrement dit le droit des croyants. C'est sur l'évaluation du caractère « nécessaire » de l'ingérence « dans une société démocratique » que la société requérante et le gouvernement lituanien sont en désaccord.

 

L'ingérence était-elle nécessaire pour protéger le droit des croyants et la morale ? 

 

L'adjectif « nécessaire », dans l'article 10-2 de la Convention européenne, renvoie à l’existence d'un « besoin social impérieux » (§ 71). L'ampleur de la marge d'appréciation laissée par la CEDH aux États pour évaluer l'existence d'un tel besoin dépend des circonstances. En l'espèce, l'affaire Sekmadienis Ltd. c. Lituanie comprend de nombreux éléments qui élargissent la marge d'appréciation laissée à l'État lituanien.

Étant donné que la morale et la religion sont pour la Cour européenne des données sociologiques et évolutives, détachées de la recherche du bien et de la vérité, les autorités nationales sont les plus aptes à en juger. La CEDH confirme la jurisprudence Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1972[2] en expliquant que les États jouissent d'un large pouvoir d'appréciation pour réguler la liberté d'expression lorsque des « convictions personnelles intimes » relatives à la morale ou la religion sont offensées (§ 73).

En outre et surtout, les publicités sont commerciales et visent donc par nature à susciter l'émotion pour déclencher un acte d'achat et augmenter le chiffre d'affaires d'une entreprise. Comme le reconnaît la Cour européenne, la société requérante n'avait donc aucune intention de « contribuer au débat public concernant la religion ou une autre question d'intérêt général » (§ 76). L'arrêt Markt Intern Verlag GMBH et Klaus Beermann c. Allemagne du 20 novembre 1989 montre que la marge d'appréciation nationale est plus large en matière économique, en particulier pour la publicité commerciale[3].

Malgré toutes ces circonstances, la marge d'appréciation nationale n'est jamais illimitée et la CEDH a effectué sa propre évaluation du caractère nécessaire ou non de l'ingérence en tenant compte de plusieurs éléments.

 

D'après la Cour européenne, les publicités ne seraient « gratuitement offensantes » envers les croyants ni en elles-mêmes, ni en raison des circonstances (§ 77-78). Bien que 77 % de la population lituanienne fait partie de l’Église catholique[4], la CEDH a mis de côté l'opinion de la Conférence épiscopale de Lituanie du 5 mars 2013. Les évêques avaient en effet considéré, après avoir reçu des plaintes de citoyens catholiques, que ces publicités « [offensaient] la sensibilité des fidèles ».

La Cour a ensuite considéré que la diffusion des publicités n'incitaient pas à la haine fondée sur l'appartenance à une religion et n'attaquaient pas une religion « de manière injustifiée ou abusive » (§ 77). De fait, les positions, les vêtements et les propos des personnages de Jésus et de Marie sur les publicités ne paraissent pas avoir un tel objectif.

 

En ce qui concerne la protection de la morale, la CEDH a considéré que les juridictions lituaniennes internes n'avaient pas énoncé « des motifs pertinents et suffisants » pour justifier une restriction à la liberté d'expression. Pourtant, leur argumentation paraît tout à fait satisfaisante. Selon la Cour administrative suprême lituanienne dans sa décision du 25 avril 2014, « les publicités sont clairement contraires à la moralité publique, car la religion (…) contribue inévitablement au développement moral de la société ». De plus, « les symboles à caractère religieux occupent une place importante dans le système des valeurs spirituelles des individus et de la société, et leur utilisation inappropriée les dévalorise [et] est contraire aux normes morales et éthiques universellement acceptées » (§ 25). D’après la Conférence épiscopale de Lituanie, « le Christ et Marie, en tant que symboles de la foi, représentent certaines valeurs morales et incarnent la perfection éthique, et pour cela ils sont des modèles (…). La représentation inappropriée du Christ et de Marie dans les publicités encourage une attitude frivole à l'égard des valeurs éthiques de la foi chrétienne, et promeut un style de vie incompatible avec les principes d’une personne religieuse » (§ 16).

La Cour européenne aurait pu davantage tenir compte de ce lien entre religion et morale dans la société lituanienne, car c'est une « donnée sociologique » incontestable.

 

Le raisonnement de la CEDH comporte des faiblesses sur deux points utilisés pour rejeter la position des juridictions lituaniennes internes.

D'une part, la Cour européenne a considéré que les juridictions internes et autorités lituaniennes auraient dû prouver ce qui paraissent être des évidences. En particulier, elles auraient dû, selon la Cour, démontrer que « Jésus » et « Marie » sont bien des références religieuses et ne sont pas utilisés seulement comme des interjections exprimant des émotions (§ 79). Pourtant, plusieurs éléments visibles montrent bien que « Jésus » et « Marie » font incontestablement référence aux personnes bibliques. Il est notamment possible de distinguer un chapelet, des auréoles doublées de nimbes, deux croix, un tatouage représentant le cœur transpercé de Marie, ou encore une couronne évoquant la couronne d'épines.

D'autre part, la CEDH a critiqué les juridictions internes pour n'avoir pas consulté des communautés religieuses chrétiennes non-catholiques ou non-chrétiennes (§ 80). Les premières représentent seulement 5,7 % de la population et sont principalement composées d'orthodoxes[5], qui vénèrent également la Vierge Marie. Les secondes représentent moins de 1 % de la population, ne reconnaissent pas le personnage de Jésus comme Dieu et Fils de Dieu, et n'accordent pas à sa mère Marie la même importance que dans le christianisme. Il ne paraît donc aucunement pertinent de les consulter.

 

L'impact des publicités sur la moralité publique de la société lituanienne a été sous-estimé, eu égard aux liens très forts entre la religion et la morale dans ce pays majoritairement chrétien. Cette décision, qui donne raison à l'immoralité au nom de la liberté, risque d'être perçue par la Lituanie comme discréditant les droits de l'homme.

 

Les travaux en cours du Conseil de l'Europe et de l'Organisation des nations unies sur la liberté d'expression et la liberté de religion

           

L'arrêt Sekmadienis Ltd. c. Lituanie doit être lu à la lumière des travaux en cours du Conseil de l'Europe et de l'Organisation des nations unies (ONU) sur la liberté d'expression et la liberté de religion. Le Groupe de rédaction sur la liberté d'expression et liens avec d'autres droits de l'homme, appartenant au Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH), a été constitué en vue d'apporter une réflexion sur la liberté d'expression dans le cadre des « sociétés culturellement diverses ». En janvier 2018, le mandat de ce groupe d'experts (CCDH – EXP) a été renouvelé pour deux ans par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe[6]. Le CCDH – EXP a publié en juillet 2017 une analyse de la jurisprudence de la CEDH sur la liberté d'expression[7]. Ce rapport peut être étudié conjointement avec celui présenté au Conseil des Droits de l’Homme de l'ONU le 23 décembre 2015 par le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction. Heiner Bielefeldt a en effet consacré ce Rapport thématique au lien entre le droit à la liberté de religion ou de conviction et le droit à la liberté d’opinion et d’expression[8].

 

D'après le rapport du CCDH – EXP, les « devoirs et responsabilités » de ceux qui exercent la liberté d'expression semblent avoir un poids de plus en plus faible dans la jurisprudence récente de la Cour européenne.

Habituellement, la jurisprudence de la CEDH prend en compte ces « devoirs et responsabilités ». Dans le domaine de la religion, les personnes ont, d'après le rapport du CCDH – EXP, une « obligation d’éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain ». Dans sa jurisprudence, la Cour européenne tend ainsi à « distinguer clairement les informations (des faits) et les opinions (des jugements de valeur), car la diffusion des premières est très fortement protégée »[9]. De même, elle distingue « entre la critique et l’insulte »[10]. Dans l'arrêt Otto-Preminger-Institut c. Autriche du 20 septembre 1994, malgré la « valeur artistique du film » et sa « contribution au débat public », la Cour a donné raison aux autorités autrichiennes qui « en saisissant le film (...) ont agi pour protéger la paix religieuse dans cette région et pour empêcher que certains se sentent attaqués dans leurs sentiments religieux de manière injustifiée et offensante ». La Cour a en particulier noté le « caractère  provocateur  des  représentations  de  Dieu  le  Père,  de  la  Vierge  Marie  et  de Jésus-Christ ».[11]

Cependant, les experts du CCDH – EXP remarquent que « si  initialement,  l’approche  de  la  Cour consistait à reconnaître aux États la possibilité d’invoquer [les « devoirs et responsabilités »]  pour  justifier  une  ingérence  dans  la liberté  d’expression,  la  jurisprudence  actuelle  de  la  Cour  laisse  peu  de  pouvoir d’appréciation  aux États »[12]. Dans la même idée, Heiner Bielefeldt condamne de manière générale les sanctions pénales d'expressions blasphématoires qui n'incitent pas « à la violence ou à la discrimination ». Ces sanctions sont jugées par principe « incompatibles avec les dispositions relatives à la liberté de religion ou de conviction et à la liberté d’expression »[13]. L’État ne peut donc pas sanctionner le blasphème en tant que tel, même lorsque celui-ci choque une grande partie de la population. La marge d'appréciation nationale devient donc limitée à l'évaluation des cas d'expressions incitant « à la violence ou à la discrimination ». La comparaison entre l'arrêt Otto-Preminger-Institut c. Autriche de 1994 et  l'arrêt Sekmadienis Ltd. c. Lituanie de 2018 témoigne de l'évolution. D'une part, la CEDH semble aujourd'hui négliger à la fois l'offense vécue par des croyants et le caractère majoritaire de la religion catholique. D'autre part, les publicités lituaniennes sont paradoxalement davantage protégées que ne l'a été le film autrichien, alors qu'elles n'apportent contrairement au film ni « valeur artistique », ni « contribution au débat public ». 

 

Les rapports du CCDH – EXP et d'Heiner Bielefeldt montrent également une évolution dans la manière d'évaluer la sensibilité religieuse de la population.

Dans la jurisprudence de la Cour européenne, « l’accent [a] progressivement été déplacé des sentiments subjectifs des adeptes d’une certaine religion vers une appréciation plus « objective » des sentiments du public, et (...) l’approche actuelle [favorise]  les choix anticonformistes des personnes »[14]. Par conséquent, dans l'arrêt Sekmadienis Ltd. c. Lituanie, la CEDH tend à dissocier l'avis des représentants catholiques de celui, non connu, des fidèles qui sont restés silencieux sur cette affaire. Cette dissociation peut certes correspondre à une réalité sociale dans certains cas, mais elle ne devrait pas être vue comme le cas général. En effet, l’Église catholique est une structure fondée sur l'obéissance dans la hiérarchie et à laquelle 77 % des Lituaniens déclarent librement appartenir, en connaissance de cause. Le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction souhaite également qu'une attention particulière soit portée à « la liberté d'expression, mais aussi (…) la liberté de religion ou de conviction (…) des  membres des minorités  religieuses,  des  convertis,  des  critiques,  des  athées,  des  agnostiques,  des dissidents »[15]. En favorisant délibérément les choix religieux « anticonformistes », c'est-à-dire s'opposant aux religions institutionnelles, le Conseil de l'Europe et l'ONU semblent ainsi juger de la légitimité des croyances.

L'arrêt Sekmadienis Ltd. c. Lituanie témoigne de cette évolution. Dans l'arrêt Otto-Preminger-Institut c. Autriche, la Cour européenne « a  indiqué  qu’elle  ne  pouvait  pas  négliger  le  fait  que  la religion  catholique  romaine  était  celle  de  l’immense  majorité  des  Tyroliens »[16]. Alors que la foi catholique est – comme nous l'avons vu – partagée par 77 % des Lituaniens et la foi chrétienne par 83 %, la Cour refuse de tirer les conséquences de cette donnée sociologique dans l'arrêt Sekmadienis Ltd. c. Lituanie. Au contraire, la CEDH fait plusieurs fois référence au caractère « pluraliste » de la société lituanienne (par exemple, § 81). Le juge de Strasbourg donne ainsi une importance disproportionnée aux 6,1 % de Lituaniens qui disent ne pas avoir de religion[17]. La morale et la religion des Lituaniens, qui révèlent une absence de pluralisme et une unité nationale, ne semblent donc même plus être appréhendées comme des données sociologiques que la Cour doit reconnaître. Que le pluralisme soit ou non une réalité sociale, il est dans tous les cas considéré par la CEDH comme un idéal que tous les pays devraient adopter. La société n'est pas regardée telle qu'elle est, mais telle qu'elle devrait être selon une idéologie libérale et progressiste.

 

Les devoirs et responsabilités constitutifs de la liberté d'expression sont négligés et les choix religieux « anticonformistes » sont privilégiés. Le relativisme religieux et moral n'est donc pas un constat mais un choix politique et idéologique imposé par le Conseil de l'Europe et l'ONU à des peuples réticents.  

 

La nécessité de protéger la recherche de la vérité et le débat fondé sur la raison

 

La diffusion d’images gratuitement offensantes, inutiles au débat et mettant en danger la morale peut être légitimement restreinte, d'autant plus si ce sont des publicités commerciales. De plus, il est important de différencier la diffusion de telles publicités du droit légitime de critiquer des religions. La CEDH remarque cette différence mais ne lui donne aucune importance. Ainsi, « de l'avis de la Cour, bien que ces publicités aient des fins commerciales et ne puissent pas être considérées comme constituant une « critique » d'idées religieuses, les principes applicables sont néanmoins similaires » (§ 81). La Cour européenne traite donc de manière similaire des situations différentes, ce qui est contraire au principe d'égalité. Pourtant, ce n'est pas la liberté d'offenser gratuitement les croyants pour vendre des vêtements qui devrait être protégée, mais le droit de critiquer des religions et de débattre de sujets religieux. En effet, la protection de la sensibilité religieuse des personnes ne doit pas être absolue et le droit de critique des religions est précieux et légitime.

 

Même si c'est au christianisme que les publicités portent atteinte, le contexte plus général de la contestation de la liberté d'expression par des communautés musulmanes permet de mieux comprendre l'approche de la CEDH. C'est en réalité la crainte d'un verrouillage de la liberté d'expression par l'islam qui semble conduire la Cour à ne pas tenir compte de l'offense vécue par les chrétiens lituaniens et à dégager des principes généraux permissifs. En effet, les juges de Strasbourg doivent trancher de plus en plus de litiges concernant la liberté d'expression sur la religion musulmane et veulent à juste titre protéger la faculté de provoquer pour briser des idoles et susciter le débat. Cette liberté doit en effet être protégée même lorsque des communautés musulmanes tentent d'imposer une censure par la violence, pouvant aller jusqu'à des assassinats comme le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo à Paris. L'actualité de l'islam perturbe l'appréciation de la Cour européenne et les réactions disproportionnées de croyants musulmans refusant toute critique de leur religion incitent les juges à ignorer de manière générale l'avis des communautés religieuses, même les plus pacifiques.

Or, il est difficile (voire impossible) d'appliquer les mêmes règles à des religions n'ayant pas du tout la même relation au débat fondé sur la raison et la recherche sincère de la vérité. En effet, alors que les communautés chrétiennes se plaignent parfois d'offenses visant à blesser gratuitement et ayant un impact négatif général sur l'ensemble de la société et sur la morale, des communautés musulmanes tendent à réagir fortement et systématiquement afin de faire obstacle à tout débat, ce dont témoignent deux affaires pendantes à la CEDH.  L'ECLJ a soumis des observations écrites à la Cour européenne en tierce intervention dans l'affaire E.S. c. Autriche (n° 38450/12) pour rappeler que les propos en cause faisaient référence à un fait historique établi, c'est-à-dire le mariage de Mahomet avec une fille de six ans (Aïcha). Ces propos ne visaient donc pas à offenser gratuitement, mais à émettre une critique constructive de l'islam pour contribuer à un débat sur la religion et sur la pratique encore actuelle du mariage des filles pré-pubères dans des pays musulmans[18]. De même, dans l'affaire Smirnova c. Russie (n°50228/06), la reproduction par le requérant des caricatures de Mahomet du journal danois Jyllands-Posten était une provocation visant à souligner le manque de liberté dans l'islam et la violence islamiste, qui sont étayés par des faits depuis les débuts de l'islam et jusqu'à aujourd'hui.

Tenter de dégager des principes applicables à toutes les religions est illusoire et mène la CEDH à mépriser de manière générale la religion et ses liens avec la morale.

 

Malgré le contexte actuel de développement tumultueux de l'islam en Europe, il est indispensable de renouer avec la tradition européenne pluriséculaire de la disputatio sur des sujets religieux.

Dans une disputatio, ce n'est pas la force ou l'intérêt qui triomphent, mais la vérité factuelle et la justesse des arguments. Le christianisme s'est développé sur des disputationēs dès l'origine, avec notamment une « vive » et « intense discussion » rapportée par les Actes des Apôtres sur les prescriptions juives (Ac 15). Le contexte du développement des universités à la fin du Moyen Âge a permis de nombreuses disputationēs sur des sujets théologiques[19]. C'est également au cours d'une disputatio à Valladolid que le frère dominicain Bartolomé de Las Casas a pu démontrer au XVIème siècle que les Amérindiens avaient une âme. Des débats religieux fondés sur la raison et le respect mutuel ont pu également avoir lieu entre des chrétiens et des musulmans, par exemple lors de la rencontre entre saint François d’Assise et le sultan d’Égypte Malik al-Kamil en 1219, malgré le contexte des croisades[20]. Dans son discours du 12 septembre 2006 à Ratisbonne sur le rapport entre la raison et la foi, le pape Benoît XVI a proposé aux musulmans une disputatio, qui a malheureusement été refusée par une grande partie de leurs chefs religieux.

Dans un objectif de paix, les différentes institutions et juridictions doivent favoriser les droits et libertés permettant la recherche sincère de la vérité, y compris religieuse, et les débats contradictoires fondés sur la raison et mêlant fermeté et courtoisie.

 

N.B. Les traductions de l'arrêt ne sont pas officielles. L'arrêt original en anglais est disponible sur le lien suivant : http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-180506

 

[1] Chiffres provenant du recensement de 2011 : https://osp.stat.gov.lt/documents/10180/217110/Gyv_kalba_tikyba.pdf.

[2] Comité directeur pour les droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, « Analyse de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l'homme et d'autres instruments du Conseil de l'Europe en vue de fournir des orientations complémentaires sur la manière de concilier la liberté d'expression avec d'autres droits et libertés, notamment dans les sociétés culturellement diverses », 13 juillet 2017 : https://rm.coe.int/analyse-de-la-jurisprudence-pertinente-de-la-cour-europeenne-des-droit/1680762b01, § 68.

[3] Rapport précité du CCDH, § 68.

[4] Chiffres provenant du recensement de 2011.

[5] Chiffres provenant du recensement de 2011.

[6] Comité directeur pour les droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, « Extrait du mandat  donné par le Comité des Ministres au CDDH concernant les travaux du CDDH – EXP pendant le biennium 2018-2019 et extraits pertinents des rapports de réunion du CDDH  », 8 janvier 2018: https://rm.coe.int/extrait-du-mandat-donne-par-le-comite-des-ministres-au-cddh-concernant/168077b6f7.

[7] Rapport précité du CDDH.

[8] Conseil des droits de l’homme, Document A/HRC/31/18, 23 décembre 2015.

[9] Rapport précité du CDDH, § 90.

[10] Ibid., § 31.

[11] Ibid., § 90.

[12] Ibid., § 44.

[13] Rapport précité du Rapporteur spécial, § 61.

[14] Rapport précité du CDDH, § 95.

[15] Rapport précité du Rapporteur spécial, § 60.

[16] Rapport précité du CDDH, § 90.

[17] Chiffres provenant du recensement de 2011.

[18] ECLJ, Observations écrites soumises à la CEDH en tierce intervention dans l'affaire E.S. c. Autriche (requête n°38450/12), 25 mai 2016 : http://9afb0ee4c2ca3737b892-e804076442d956681ee1e5a58d07b27b.r59.cf2.rackcdn.com/ECLJ%20Docs/Obs.%20Aff.%20ES%20c.%20Autriche_001.pdf.

[19] Lire à ce sujet : Jacques Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge, Collections Microcosme « le Temps qui court », Le Seuil, 1957.

[20] Albert Jacquard, Le Souci des pauvres : l'héritage de François d'Assise, Calmann-Lévy, 1996 : « Ce que les armées venues d’Europe n’avaient pu obtenir, l’intelligence et la tolérance de Malik al-Kamil permettraient à l’islam de l’offrir. Sans doute le regard clair de François avait-il poursuivi son lent travail dans la conscience de cet homme ouvert à la pensée des autres ».

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