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Responsabilisation des plateformes pornographiques : des députés européens interpellent la Commission européenne

Règlement UE plateforme pornographique

Par Priscille Kulczyk1701420300000
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« La Commission [européenne] compte-t-elle inclure Xvideos, Pornhub, Xnxx et xhamster dans la liste des « très grandes plateformes en ligne » au titre du règlement sur les services numériques et, dans l’affirmative, quand le fera-t-elle ? » C’est à cette question écrite, posée par cinq députés européens le 3 novembre 2023 que la Commission européenne devra répondre dans les toutes prochaines semaines. Parmi les parlementaires européens cosignataires figurent le Français François-Xavier Bellamy (PPE) ou encore l’Espagnole Margarita de la Pisa Carrión (ECR).

Il appartient en effet à la Commission européenne de décider des sites devant relever du statut de « très grande plateforme en ligne », la condition étant qu’ils comptent « un nombre mensuel moyen de destinataires actifs du service dans l’Union égal ou supérieur à 45 millions » (article 33), ce qui correspond à 10 % de la population de l’Union. Le 25 avril 2023, la Commission a désigné une première série de « très grandes plateformes en ligne » : Alibaba AliExpress, Amazon Store, Apple AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube et Zalando. Mais nulle trace de site pornographique. Comme l’ont exprimé les députés européens dans leur question écrite, cela « est surprenant […], quand le contenu de plateformes telles que Xvideos, Pornhub, Xnxx ou xhamster, qui comptent plus de visiteurs que certaines plateformes figurant sur la liste de la Commission, portent souvent atteinte aux droits et à la dignité des personnes ». En effet, les statistiques sont claires : plusieurs sites pornographiques figurent parmi les plus visités en Europe et dans le monde. Selon le site Similarweb, Xvideos apparaît en 11e position dans le classement des sites les plus visités au monde en octobre 2023, avant Amazon.com (12) et TikTok.com (13). Les 14e et 15e places sont occupées par Pornhub et Xnxx,  la 23e par Xhamster, tandis que Pinterest n’arrive qu’en 33e position. D’autres sites figurant dans la liste des 17 « très grandes plateformes en ligne » n’apparaissent même pas, bien qu’il faille garder à l’esprit qu’il s’agit du classement mondial et non européen. Il est donc non seulement possible d’inclure les sites pornographiques les plus fréquentés dans la liste des « très grandes plateformes en ligne » au titre du Règlement sur les services numériques, mais cela apparaît surtout indispensable car il pourrait bien s’agir d’une des actions les plus efficaces à mener actuellement pour espérer réduire la nocivité de ce type de sites.

Le Règlement sur les services numériques, outil potentiel de responsabilisation des sites pornographiques

Adopté en octobre 2022, ce Règlement a pour objectif de « garantir un environnement en ligne sûr et responsable[1] » et de « mettre en pratique le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne[2] ». Alors que l’accès des mineurs à la pornographie est interdit dans le monde réel, ce Règlement devrait en toute logique permettre de protéger davantage les enfants contre l’exposition aux contenus de cette nature qui constitue une grave atteinte sexuelle. De plus en plus d’enfants en sont actuellement victimes, de manière de plus en plus précoce et au prix de graves conséquences psychiques et comportementales.

D’une manière générale, les activités liées à la pornographie en ligne pourraient être ciblées à l’aide de ce Règlement. Il devrait permettre de faire retirer massivement et rapidement des contenus illicites par les sociétés d’hébergement et les plateformes en ligne. Les obligations relatives à l’identification publique des annonceurs pourraient freiner la diffusion de publicité générant d’importants revenus pour les plateformes et ayant parfois pour but de rediriger vers des sites pornographiques. L’obligation de désigner un représentant légal dans l’Union européenne pourrait permettre, à défaut de les neutraliser, d’au moins accéder plus facilement à des acteurs malfaisants se cachant derrière des structures opaques ou enregistrées dans des États garantissant l’anonymat aux administrateurs. En cas d’infraction au Règlement, les sanctions et obligations ne sont pas négligeables. Il serait également possible que des associations engagées dans la lutte contre la pornographie et respectant les conditions nécessaires obtiennent le statut de signaleur de confiance qui permettrait un traitement privilégié de leurs signalements.

Concernant en particulier les dispositions relatives à la protection des mineurs en ligne, l’article 28 dispose notamment que « Les fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs mettent en place des mesures appropriées et proportionnées pour garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des mineurs sur leur service » (§1) mais il est par ailleurs précisé que « Le respect des obligations énoncées dans le présent article n’impose pas aux fournisseurs de plateformes en ligne de traiter des données à caractère personnel supplémentaires afin de déterminer si le destinataire du service est un mineur » (§3). En outre, si une plateforme est considérée comme leur étant accessible, elle devrait « prendre des mesures appropriées et proportionnées pour protéger les mineurs, par exemple en concevant leurs interfaces en ligne ou des parties de celles-ci avec le plus haut niveau de protection de la vie privée, de sécurité et de sûreté des mineurs par défaut, s’il y a lieu, ou en adoptant des normes de protection des mineurs, ou en participant à des codes de conduite pour la protection des mineurs », tout en étant précisé plus loin que « […] cette obligation ne devrait pas inciter les fournisseurs de plateformes en ligne à recueillir l’âge du destinataire du service avant l’utilisation de ces plateformes » (considérant 71). Faut-il y voir une forme de réticence du législateur européen quant à l’utilisation de la vérification de l’âge pour accéder à certains sites ? Dans l’affirmative, cela pourrait poser problème s’agissant des sites pornographiques dont il est notoirement connu que leurs utilisateurs ne sont malheureusement pas que des personnes majeures.

C’est donc particulièrement le statut de « très grande plateforme en ligne » qui apparaît intéressant en matière de protection des enfants contre la pornographie. Il implique en effet des obligations renforcées, notamment en termes d’évaluation annuelle des risques systémiques liés aux services proposés par la plateforme et concernant notamment « la diffusion de contenus illicites », « tout effet négatif réel ou prévisible pour l’exercice des droits fondamentaux […] relatifs aux droits de l’enfant » ainsi que « tout effet négatif réel ou prévisible lié aux violences sexistes et à la protection de la santé publique et des mineurs et les conséquences négatives graves sur le bien-être physique et mental des personnes » (article 34), c’est-à-dire plusieurs domaines d’une particulière importance en matière de pornographie. Partant, des « mesures d’atténuation raisonnables, proportionnées et efficaces, adaptées aux risques systémiques spécifiques » doivent être mises en place (article 35), ce qui peut inclure notamment « j) l’adoption de mesures ciblées visant à protéger les droits de l’enfant, y compris la vérification de l’âge et des outils de contrôle parental […] ».

Des appels unanimes à soumettre les sites pornographiques aux obligations pesant sur les « très grandes plateformes en ligne »

Comme l’a récemment révélé Frank Hersey, journaliste de presse juridique, outre cette question écrite posée par les députés européens, la Commission européenne a aussi reçu une lettre signée par une trentaine d’ONG lui demandant également de procéder, au titre du Règlement sur les services numériques, à l’inclusion de plateformes pornographiques parmi les « très grandes plateformes en ligne »[3]. Qu’ils proviennent de personnalités politiques ou de la société civile, les appels en ce sens sont donc unanimes. Ils font en outre écho à celui de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui, en novembre 2021, avait invité les États « à veiller à ce que les réglementations sur la publication en ligne, telles que la législation de l’Union européenne sur les services numériques, s’appliquent à tous les médias, dont les sites internet pornographiques[4] ».

La Commission européenne pourrait faire suite à ces appels prochainement. En effet, Frank Hersey s’est vu confirmer par celle-ci qu’elle enquêterait actuellement sur plusieurs sites pornographiques, dont Xvideos qui revendique une moyenne d’environ 160 millions de visiteurs mensuels dans l’Union européenne entre août 2022 et février 2023, avec l’objectif de les intégrer précisément au nombre des « très grandes plateformes en ligne ». Selon le journaliste, une telle décision pourrait d’ailleurs intervenir encore avant la fin d’année 2023[5].

L’ECLJ s’en réjouit et constate qu’en posant cette question écrite à la Commission européenne, les eurodéputés ont suivi une des recommandations formulées à la fois dans son récent rapport intitulé « Combattre la pornographie – Mieux réguler l’accès à la pornographie », ainsi qu’au cours d’une conférence tenue le 4 octobre 2023 au Parlement européen sur le thème des « Dangers de l’exposition des enfants à la pornographie ». Invité par Margarita de la Pisa Carrión (ECR), l’une des signataires de la question écrite, l’ECLJ avait précisément recommandé aux parlementaires de s’adresser à la Commission européenne afin de la rendre attentive à la nécessité d’inclure les grands sites pornographiques parmi les « très grandes plateformes en ligne » au sens du Règlement sur les services numériques.

Il faut donc espérer que la Commission européenne procédera aussi rapidement que possible à cette inclusion, suivant en cela les voix concordantes de la société civile et des élus européens. En agissant ainsi concrètement pour un internet plus sûr pour les enfants, elle montrera aussi que le Règlement sur les services numériques est un instrument fonctionnel et véritablement utile pour responsabiliser tous types de plateformes en ligne, en particulier celles qui sont de nature à mettre en danger la santé et la sécurité de la jeunesse européenne.

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[1] Pour une présentation de ce règlement, voir : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-services-act-ensuring-safe-and-accountable-online-environment_fr

[2] « DSA : le règlement sur les services numériques vise une responsabilisation des plateformes », Vie publique, 5 juillet 2022 : https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act#:~:text=Le%20futur%20r%C3%A8glement%20DSA%20(pour,europ%C3%A9en%20le%205%20juillet%202022

[3] Frank Hersey, “Adult websites look set to be designated as VLOPs as Xvideos self-declares”, MLex, 23 November 2023.

[4] APCE, Dimension de genre et effets de la pornographie sur les droits humains, Résolution 2412 (2021), 26 novembre 2021, 10.4.2.

[5] Frank Hersey, “Pornhub responds to Italian data protection case as delay in Cyprus leads to threats of legal action”, MLex, 23 November 2023.

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