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Jeunes, smartphone et porno: un cocktail dangereux

Jeunes, smartphone et porno: un cocktail dangereux

Par Priscille Kulczyk1710932400000
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Alors que les conséquences de l’exposition à la pornographie sur les plus jeunes sont bien connues, on s’intéresse encore peu à ce qui constitue la principale porte d’accès des enfants et adolescents à la pornographie en ligne : leur smartphone. La responsabilité des parents est pourtant très grande.

Tribune parue dans La Croix, le 6 mars 2024.

Les enfants et les adolescents sont trop largement exposés à la pornographie : les chiffres montrent qu’ils sont toujours plus nombreux, de plus en plus jeunes et qu’ils visionnent de tels contenus de manière de plus en plus intensive. En France, selon une étude de l’ARCOM publiée en mai 2023, 2,3 millions d’enfants visitent chaque mois des sites « adultes », soit une progression de 36 % en 5 ans. Une étude IFOP réalisée en 2023 a montré que plus d’un quart des 18-24 ans interrogés (27 %) ont visionné de la pornographie pour la première fois entre 8 et 12 ans, un chiffre qui a plus que doublé en 10 ans. En 2017, selon une autre étude IFOP, 36 % des adolescents de sexe masculin ayant déjà surfé sur un site X déclarent le faire une fois par mois ou plus et 4 % tous les jours ou presque. Ces jeunes sont donc victimes d’un véritable fléau qui constitue une forme d’atteinte sexuelle à grande échelle.

C’est précisément à l’aide du smartphone, dont l’usage est de plus en plus répandu chez les mineurs, que ces derniers accèdent le plus souvent aux contenus pornographiques. Ainsi en France, selon l’étude de l’ARCOM précitée, « Le mobile est le terminal le plus utilisé, quel que soit l’âge. Pour 75 % des mineurs, le mobile est même le terminal exclusif » pour accéder aux sites « adultes ». Autre pays, mêmes observations : en Pologne, d’après une étude tout aussi préoccupante publiée en 2022 par l’institut public d’analyse NASK, les jeunes interrogés ont le plus souvent déclaré avoir vu pour la première fois de la pornographie grâce à un smartphone/téléphone avec accès à Internet (35,1 %) et que c’est majoritairement ce type d’appareil qui leur sert à accéder à ces contenus pour 76,2 % des jeunes de 16 ans interrogés et 66,9 % des 12-14 ans.

Des attentes irréalistes et déformées

Or, comme l’a mis en évidence le rapport de l’ECLJ « Combattre la pornographie. Mieux réglementer l’accès à la pornographie » (septembre 2023), l’exposition à la pornographie n’est pas inoffensive, en particulier pour les jeunes. En 2022, l’Assemblée du Conseil de l’Europe notait que cette exposition est « sans précédent » et « nuit à leur développement psychique et physique ». Elle comporte en effet des risques dont l’énumération a de quoi effrayer : développement d’attentes irréalistes et déformées à l’égard de la sexualité, comportements sexuels nuisibles et risqués pour soi et pour les autres (activité sexuelle précoce, sexting, partenaires sexuels multiples, utilisation de substances psychoactives, vulnérabilité aux IST), réduction des niveaux d’intégration sociale, baisse des résultats scolaires, atteinte à l’estime de soi, apparition de complexes et de symptômes dépressifs, addiction à la pornographie, augmentation de la violence sexuelle entre mineurs etc. Sans compter les conséquences désastreuses de la pornographie à plus grande échelle sur la condition des femmes, les relations, les familles et la société dans son ensemble.

Concernant le sexting ou « textopornographie », le smartphone est là aussi très largement coupable. Cette pratique consiste à envoyer ou recevoir, notamment par texto, des messages sexuellement explicites, souvent avec des photos ou vidéos, et s’avère fréquente chez les jeunes : en Pologne, le rapport NASK précité a révélé que près du quart des adolescents de 16 ans interrogés ont reconnu avoir déjà partagé ainsi leurs propres contenus intimes. Cela génère des problèmes d’exploitation ou d’abus sexuels, ainsi que d’extorsion et de coercition sexuelle en ligne.

Le risque de la résignation

De telles données doivent pousser à s’interroger avant de mettre un smartphone dans les mains d’enfants et d’adolescents, peu importe que la décision soit prise par conviction ou plutôt par résignation. Elle doit impliquer à tout le moins une certaine vigilance, notamment quant aux risques d’exposition à la pornographie. En la matière, le rôle des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, est en effet fondamental. Dès 1993, dans une résolution sur la pornographie, le Parlement européen rappelait que l’intervention des pouvoirs publics n’est que subsidiaire et que le primat de la responsabilité incombe à la famille.

Pourtant, là encore, les études illustrent une situation loin d’être satisfaisante. En France, une étude Médiamétrie a montré en 2019 que concernant l’ « usage de solutions techniques par les parents pour contrôler les pratiques numériques », seuls 44 % des parents « ont procédé au paramétrage du smartphone, de la console… de l’enfant » et 38 % « ont utilisé des dispositifs techniques/logiciels de contrôle du surf ». En Pologne, l’étude NASK précitée indique que 58,5 % des jeunes interrogés ont répondu que leurs parents n’ont jamais discuté avec eux de la pornographie sur Internet et de ses conséquences ; 59,9 % affirment que leurs parents n’opèrent pas de contrôle concernant un éventuel visionnage de contenus pornographiques.

La conscience des parents

Il est donc important que les éducateurs, en particulier les parents, prennent véritablement conscience de l’ampleur de la consommation de pornographie chez les jeunes et de ses conséquences. L’Assemblée du Conseil de l’Europe a ainsi invité les États « à adopter des politiques et des mesures visant à informer, éduquer et rappeler aux parents les dangers auxquels leurs enfants sont confrontés dans un environnement hypersexualisé (ainsi qu’à les sensibiliser aux indicateurs de souffrance ou de traumatismes en découlant), et à armer les parents pour instruire leurs enfants sur ces thématiques très sensibles de manière constructive ».

L’exposition des jeunes à la pornographie est une question de santé publique et il importe que l’État se mette à combattre ce problème activement et avec détermination : c’est un investissement pour l’avenir car les enfants et adolescents d’aujourd’hui sont les adultes de demain. Alors à quand une initiative d’envergure mobilisant l’ensemble de la société afin de « prendre le porno par les cornes » ? Pour l’heure et en tant qu’adultes, profitons de ces jours-ci pour nous interroger d’abord sur notre propre usage du smartphone et sur l’exemple que nous donnons à notre progéniture.

Non à la pornographie !
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