CEDH

La CEDH rejette la demande de «droit à l'enfant sans père»

Rejet du «droit à l'enfant sans père»

Par Priscille Kulczyk1518618382882
Le 8 février 2018, la Cour européenne a jugé irrecevable l’affaire Charron et Merle-Montet c. France (n°22612/15), dans laquelle deux femmes réclamaient un « droit à l’enfant sans père ».
 
L’ECLJ avait été autorisé à intervenir dans cette affaire et a soumis des observations écrites à la Cour.

Le 8 février 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a publié sa décision du 16 janvier 2018 rendue dans l’affaire Charron et Merle-Montet contre France (n° 22612/15) en matière d’accès aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes. À l’unanimité, la Cour a déclaré la requête irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes.

En l’espèce, Marie Charron et Ewenne Merle-Montet, deux femmes françaises mariées civilement et désirant avoir un enfant se plaignaient du refus opposé par le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Toulouse à leur demande tendant à bénéficier d’une insémination artificielle avec le don de sperme d’un homme anonyme. Appliquant la loi française, le médecin avait motivé le refus de prise en charge par le fait que « la loi Bioéthique actuellement en vigueur en France n’autorise pas la prise en charge des couples homosexuels ». En effet, l’article L2141-2 du Code de la santé publique, issu de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, réserve les techniques de PMA à un usage médical, au bénéfice des couples de personnes de sexe différent souffrant d’une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou porteurs d’une maladie grave héréditaire.

Les requérantes, représentées par leur avocat Me Caroline Mécary, ont alors saisi la CEDH en se disant victimes d’une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) et d’une discrimination injuste en raison de leur « orientation sexuelle » (articles 8 et 14 de la Convention) : selon elles, leur situation serait en effet comparable, au regard de l’insémination artificielle, à celle d’un couple hétérosexuel au sein duquel l’homme est infertile.

Malgré la nécessité d’épuiser les voies de recours internes avant de saisir la CEDH, les requérantes n’ont toutefois pas porté au préalable leur affaire devant les juridictions françaises au motif que cela aurait été « de toute évidence voué à l’échec ». Elles se fondaient pour cela sur la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 qui traitait de la constitutionnalité de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et énonçait qu’« il résulte de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique que l’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée d’un couple formé d’un homme et d’une femme en âge de procréer, qu’ils soient ou non mariés ; que les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe ; que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Dans son appréciation, la Cour rappelle tout d’abord sa jurisprudence relative à la condition de recevabilité tenant à l’épuisement des voies de recours internes (§ 18) qui découle du principe de subsidiarité : la compétence de la CEDH est en effet subsidiaire par rapport à celle des juridictions internes. Elle note ensuite, à l’instar du Gouvernement français (§ 12), que la demande des requérantes à pouvoir bénéficier d’une PMA a fait l’objet d’un refus de la part du CHU de Toulouse, ce qui constitue une décision administrative individuelle défavorable ouvrant une voie de recours interne : un recours en annulation pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives (§ 21). S’attachant ainsi à savoir si les requérantes pouvaient valablement soutenir qu’une telle action aurait été « de toute évidence voué[e] à l’échec », la Cour rappelle que, bien qu’un « recours normalement disponible n’est pas « à épuiser » lorsqu’il est démontré dans un cas particulier qu’il se heurterait à une jurisprudence contraire établie dans des affaires similaires (…), le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours interne qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier qu’il n’en soit pas fait usage ». Elle note sur ce point que la décision du Conseil constitutionnel sur laquelle s’appuient les requérantes « pourrait être considérée comme réduisant les chances de succès » mais pas pour autant comme « rend[ant] un tel recours ineffectif » (§ 25).

Comme le faisait remarquer le Gouvernement français (§ 14), la Cour constate que la portée de la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 n’est pas celle que lui prêtaient les requérantes dès lors qu’y était examinée la constitutionnalité non pas de l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique en cause dans l’affaire mais de la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe (§ 26-27). Cela mène la Cour à admettre que « même si les chances de succès étaient éventuellement réduites du fait de la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013, un recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du CHU de Toulouse du 15 décembre 2014 fondé sur les articles 8 et 14 de la Convention n’aurait pas été "de toute évidence voué à l’échec" » (§ 29).

 

La Cour rappelle finalement que l’un des objectifs de la condition d’épuisement des voies de recours internes est de « donner aux États membres la possibilité de redresser la situation qui fait l’objet de la requête avant de devoir répondre de leurs actes devant un organisme international » et fait sien l’argument du Gouvernement français (§ 13) résidant dans le fait qu’aucune juridiction française n’a encore eu à connaître d’une affaire relative à un refus d’accès à la PMA pour des couples de même sexe (§ 30). Après avoir souligné « l’importance du principe de subsidiarité », la Cour conclut à l’irrecevabilité de la requête.

 

Une décision conforme à la Convention et à la jurisprudence de la Cour mais dont la portée ne doit pas être surestimée

La Cour rend ainsi une décision conforme à la Convention (article 35) en faisant une application rigoureuse des principes relatifs à l’épuisement des voies de recours internes qu’elle rappelle opportunément face à l’activisme militant et la légèreté de l’avocat des requérantes. Celui-ci espérait certainement bénéficier de l’accueil bienveillant que la Cour réserve souvent aux revendications de type « sociétal », eu égard au progressisme dont elle fait preuve ces dernières années. La décision de la Cour peut ainsi être saluée car il importe de préciser qu’elle aurait tout aussi bien pu suivre l’argumentation des requérantes et considérer que les circonstances de l’espèce  rendait inopportun l’épuisement des voies de recours internes. En effet, il lui est déjà arrivé de condamner directement des Etats sans attendre l’épuisement des voies de recours internes : ainsi dans les affaires Vallianatos c. Grèce (n° 29381/09 et 32684/09) dans laquelle Me Mécary représentait les requérants, Costa et Pavan c. Italie (n° 54270/10) ou S.A.S. c. France (n° 43835/11).

Le rejet de la requête par la Cour est en outre conforme à sa jurisprudence pertinente en matière de procréation, qui se trouve donc maintenue. De manière générale, si la Cour a reconnu l’existence d’un « droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent » (Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, 10 avril 2007, § 71 ; S.H. c. Autriche, n° 57813/00, 1er avril 2010, § 58) et d’un « droit au respect de (la) décision de devenir parents génétiques » (Dickson c. Royaume-Uni [GC], n° 44362/04, 4 décembre 2007, § 66) », elle rappelle toutefois régulièrement qu’aucun article de la Convention ne peut être interprété comme garantissant le droit de procréer (Šijakova and others v. « the former Yugoslav Republic of Macedonia » (Dec), n° 67914/01, 6 mars 2003, § 3 ; S.H. c. Autriche, n° 57813/00, décision sur la recevabilité du 15 novembre 2007, § 4).

Concernant l’article 8 invoqué en l’espèce par les requérantes, la Grande Chambre a récemment rappelé que le droit à la protection de la vie privée et familiale ne protège pas le simple désir de fonder une famille (Paradiso et Campanelli c/ Italie [GC],  n° 25358/12, 24 janv. 2017, § 141). Ainsi, en l’absence de tout droit à procréer, c’est en toute logique qu’il ne peut exister aucun droit à bénéficier d’une PMA, quelle que soit la situation des personnes souhaitant y avoir accès. La Cour a d’ailleurs considéré que « les Etats ne sont nullement tenus de légiférer en matière de procréation artificielle ni de consentir à son utilisation » (S.H. c. Autriche, n° 57813/00, 1er avril 2010, § 74), ceux-ci n’ayant donc pas l’obligation de légaliser la PMA.

Les requérantes étant en l’espèce un couple de personnes de même sexe demandant que soit affirmé un droit de procréer par PMA, la décision de la CEDH dans cette affaire était fort attendue car sa jurisprudence en matière de PMA portait jusque-là sur l’accès à ces techniques pour les couples hétérosexuels (Dickson contre Royaume-Uni, [GC], 4 décembre 2007, n° 44362/04 ; S.H. et autres c. Autriche, [GC], 3 novembre 2011, n° 57813/00). Notons néanmoins que, dans l’arrêt Gas et Dubois c. France (15 mars 2012, n° 25951/07) rendu en matière d’adoption, la Cour a considéré que la France ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme en refusant à deux femmes pacsées la faculté de procréer artificiellement par insémination avec tiers donneur anonyme : de manière réaliste, la Cour a admis le caractère non discriminatoire de la législation française relative aux conditions d’accès à l’AMP en jugeant que « si le droit français ne prévoit l’accès à ce dispositif que pour les couples hétérosexuels, cet accès est également subordonné à l’existence d’un but thérapeutique, visant notamment à remédier à une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement constaté ou à éviter la transmission d’une maladie grave. Ainsi, pour l’essentiel, l’insémination artificielle avec donneur n’est autorisée en France qu’au profit des couples hétérosexuels infertiles, situation qui n’est pas comparable à celle des requérantes. Il s’ensuit, pour la Cour, que la législation française concernant l’IAD ne peut pas être considérée comme étant à l’origine d’une différence de traitement dont les requérantes seraient victimes ».

La portée de la décision de la CEDH dans l’affaire Charron et Merle-Montet c. France ne doit toutefois pas être surestimée. La Cour ne s’est en effet prononcée que sur la question de la recevabilité de la requête sans examiner cette dernière au fond quant à un prétendu droit d’accès aux techniques de procréation médicalement assistée pour les couples de même sexe. Il est donc impossible de savoir comment elle aurait raisonné si elle avait agréé l’argumentation des requérantes et déclaré leur requête recevable, bien qu’elle ait admis avec raison le caractère non discriminatoire de la loi française relative à l’accès à la PMA dans l’arrêt Gas et Dubois c. France. En effet, l’infertilité de deux femmes, tout comme celle d’une femme célibataire, n’est pas physiologique mais naturelle et structurelle, à l’inverse de celle d’un couple hétérosexuel en âge de procréer.

L’intérêt de cette décision réside ainsi dans le maintien, de fait, de la jurisprudence réaliste de la Cour en la matière, et cela malgré la possibilité qui lui était donnée de la remettre en cause. Il faut s’en réjouir car les conséquences d’une condamnation de la France auraient été dramatiques.

 

Les conséquences dramatiques d’une condamnation de la France

Si la Cour avait déclaré la requête recevable et condamné la France en faisant droit à la demande des requérantes tendant à ce que soit affirmé un droit de procréer par PMA, cela serait revenu à reconnaître un véritable « droit à l’enfant » par procréation artificielle et un « droit à l’enfant sans père ».

Une telle décision aurait eu des effets contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant, et notamment aux dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant reconnaissant le « droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » (article 7-1). Or ce droit naturel de tout enfant venant au monde est clairement bafoué en cas de PMA pratiquée au bénéfice de femmes seules ou vivant en couple et nécessitant donc l’utilisation du sperme d’un donneur, puisque cela revient à « fabriquer » un enfant volontairement privé de son père et de sa filiation paternelle. Ainsi, alors que les requérantes invitaient la Cour à considérer uniquement le point de vue d’adultes désirant avoir un enfant, le véritable enjeu de cette affaire n’était pas l’égalité d’accès à une technique mais la protection des enfants contre leur réduction croissante en l’objet du désir des adultes.

Le choix du législateur français en matière d’accès à la PMA ne vise pas à frustrer les personnes homosexuelles ou célibataires de leur désir d’enfant, mais à respecter autant que possible l’intérêt supérieur et les droits naturels de l’enfant.

À supposer que la Cour ait donné raison aux requérantes et reconnu en substance un « droit à l’enfant sans père », cette décision aurait ouvert grand la porte à la reconnaissance ultérieure d’un « droit à l’enfant sans mère », c’est-à-dire de la gestation par autrui (GPA), en vertu de l’égalité entre les couples et de l’interdiction de la discrimination. En effet, si la PMA est le seul moyen pour les femmes célibataires ou en couple d’accéder à une parenté partiellement génétique, les hommes célibataires ou en couple ne peuvent avoir recours qu’à la GPA pour aboutir à ce même résultat.

En outre, la PMA aurait perdu sa finalité strictement médicale pour devenir un instrument de réalisation de désirs individuels allant contre et au-delà de la nature. En cela, cette requête qui demandait à la Cour de faire sortir la PMA du cadre thérapeutique pour élargir son accès aux cas d’infertilité sociale s’inscrivait dans la plus pure logique transhumaniste, celle-ci consistant à augmenter la nature et non plus « seulement » à la corriger.

Une condamnation de la France serait encore revenue à forcer celle-ci, de même que les nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe n’autorisant pas l’accès à la PMA pour les couples de femmes, à légaliser cette pratique au risque que ces Etats s’exposent à une condamnation de la Cour en cas de recours ultérieur en l’absence de modification de leur législation.

 

En rejetant la requête, la Cour laisse au législateur français le soin de traiter la question de l’accès à la PMA pour les couples de femmes : il se trouve que ce sujet divise largement la population depuis plusieurs années et est brûlant d’actualité. En effet, l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes, qui constitue l’un des principaux points à l’ordre du jour des Etats généraux de la bioéthique préparant la révision de la loi de bioéthique, avait déjà été évoquée lors d’âpres débats au moment de l’adoption de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Elle est revenue sur le devant de la scène avec l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République française, celui-ci s’y étant déclaré favorable et allant jusqu'à soutenir, au contraire de la CEDH dans l’arrêt Gas et Dubois c. France, que « le fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une discrimination intolérable » (Twitter, 16 février 2017).

 

Regrettant que la Cour ne se soit pas prononcée sur le fond pour condamner la France, Me Mécary affirme sur les réseaux sociaux : « la Cour a botté en touche, elle a choisi la voie du milieu pour ne pas être taxée de gouvernement des juges ». Celle-ci a pourtant précisément rempli son rôle de gardien de la Convention en adoptant une telle solution de retenue. Le rôle de la Cour est d’aider les Etats à préserver notre humanité, non de les forcer à lever les obstacles moraux à la réalisation des désirs individuels contre-nature, auquel cas les droits de l’homme ne protégeraient plus l’homme de toutes les démesures, mais se limiteraient à ajuster symboliquement la société aux progrès technique, scientifique et médical.

La Cour aura-t-elle cela à l’esprit en jugeant l’affaire R.F. c. Allemagne (n° 46808/16) dont elle est actuellement saisie ? En l’espèce, deux femmes, dont l’une a porté l’enfant conçu in vitro avec un ovocyte de l’autre fécondé à l’aide du don de sperme d’un homme anonyme, se plaignent de ne pas être toutes deux reconnues comme mères de l’enfant dans l’acte de naissance de ce dernier et s’estiment victimes d’une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle. Il importe de préciser que dans cette affaire, les requérantes ont pris la peine de porter leurs prétentions devant les juges nationaux avant de saisir la CEDH.

 
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