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CEDH

Commentaires sur l'arrêt Paradiso et Campanelli c. Italie

Paradiso et Campanelli c. Italie

Par Grégor Puppinck1422439620000
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Le 27 janvier 2015, la Deuxième Section de la Cour européenne des droits de l’homme a conclu par 5 voix contre 2 à la violation de l’article 8 de la Convention (droit à la vie privée et familiale) dans l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie (n° 25358/12) concernant le refus des autorités italiennes d’enregistrer l’acte de naissance établi en Russie pour un enfant qui y a été conçu par le biais d’une gestation pour autrui et le retrait de l’enfant par les demandeurs.

La Cour a alloué conjointement aux demandeurs 20 000 € au titre du dommage et 10 000 € au titre des frais et dépens (§§ 95 et 98), soit plus de la moitié du prix payé à la mère porteuse russe pour l’enfant (§ 29).

L’opinion en partie dissidente des juges Raimondi et Spano résume très bien l’importance de la présente décision et le grand pas opéré dans la jurisprudence de la Cour relative à la maternité de substitution : « la position de la majorité revient, en substance, à nier la légitimité du choix de l’État de ne pas reconnaitre d’effet à la gestation pour autrui. S’il suffit de créer illégalement un lien avec l’enfant à l’étranger pour que les autorités nationales soient obligées de reconnaître l’existence d’une « vie familiale », il est évident que la liberté des États de ne pas reconnaître d’effets juridique à la gestation pour autrui, liberté pourtant reconnue par la jurisprudence de la Cour (Mennesson c. France, no 65192/11), 26 juin 2014, § 79, et Labassee c. France, (no 65941/11), 2 juin 2014, § 58), est réduite à néant » (§ 15 de l’opinion dissidente). Dans un communiqué de presse (en anglais uniquement), la Cour sous-estime à présent les conséquences de cette décision, faisant valoir que « dans cette affaire la Cour s’est concentrée sur le retrait de l’enfant et sa mise sous tutelle, et non sur la question de la gestation pour autrui » (notre traduction), comme si l’enfant n’était pas né d’une mère porteuse et cela en violation des droits italien et international.

En outre, il est assez contradictoire que la Cour ait conclu à la violation de la Convention en ce qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’avoir été retiré aux requérants et placé, tout en indiquant en conclusion que cela n’implique pas l’obligation pour l’Etat de leur remettre l’enfant (§ 88). Cela montre aussi que cette affaire, comme de nombreuses autres concernant la reconnaissance de nouveaux droits de l’homme en vertu de la Convention, ne traite pas de véritables violations de droits de l’homme subies par les requérants, dès lors que la décision ne changera rien pour eux. En revanche, elle servira au lobby favorable à la gestation pour autrui, puisque le seul aspect concerné par l’exécution de la décision, mis à part la somme allouée aux requérants au titre du dommage et des frais et dépens, est le changement de la législation italienne relative à la gestation pour autrui et par extension les normes européennes et internationales.

C’est la troisième affaire concernant la gestation pour autrui dont traite la Cour après Menesson et autres c. France/Labassee et autre c. France et D. et R. c. Belgique. À l’heure actuelle, d’autres affaires stratégiques relatives à cette même question sont pendantes (Laborie c. France, n° 44024/13, Foulon c. France, n° 9063/14 et Bouvet c. France, n° 10410/14), toutes ayant pour but d’obliger les Etats membres du Conseil de l’Europe, via la Cour européenne des droits de l’homme et en abusant du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, à élaborer une législation reconnaissant la filiation de l’enfant né d’une mère porteuse avec le couple qui l’a commandé, ce qu’interdisent ces pays, et à légaliser ainsi la gestation pour autrui.

L’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie concerne un couple marié qui a tenté de devenir parents, mais sans succès à cause de l’infertilité de l’épouse. À respectivement 43 et 55 ans, ils se sont rendus en Russie pour procéder à une fécondation in vitro avec le sperme du second requérant et l’ovule d’une donneuse anonyme, puis à l’implantation de l’embryon dans l’utérus de la mère porteuse, la gestation pour autrui étant interdite en Italie mais possible en Fédération de Russie en l’absence d’une législation spécifique. Ils ont conclu une convention de gestation pour autrui avec la société privée « Rosjurisconsulting ». Né en février 2011, l’enfant a été remis contre 50 000 € par la mère porteuse aux requérants, ces derniers étant reconnus comme parents en vertu de la loi russe. Leur demande de transcription de l’acte de naissance de l’enfant, afin d’être reconnus comme ses parents dans l’ordre juridique italien, a été rejetée au motif que l’acte de naissance contenait de fausses informations relatives aux parents de l’enfant : un test ADN prouvait en effet que le requérant n’était pas le père biologique de l’enfant. Une procédure pour altération de l’état civil a été ouverte en Italie contre les requérants : prenant en considération l’intérêt supérieur de l’enfant et l’attitude de ses parents (aucun d’eux n’ayant de lien biologique avec l’enfant, ils l’ont amené en Italie en violation des normes internationales relatives à l’adoption et l’accord conclu avec la société privée était illicite au regard de la Loi italienne n° 40/2004 sur la procréation médicalement assistée), les juridictions internes ont décidé de retirer l’enfant aux requérants et de confier aux services sociaux les droits parentaux sur l’enfant. Les tribunaux ont encore jugé que ce dernier n’était pour les requérants qu’un « instrument destiné à satisfaire leur désir narcissique d’exorciser un problème de couple ». Le 26 janvier 2013, l’enfant a été placé en famille d’accueil et son tuteur a saisi les juridictions internes afin que lui soit attribuée une identité conventionnelle.

Insatisfaits de la décision des tribunaux italiens et comme dans les autres requêtes en matière de gestation pour autrui jugées ou pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme, les requérants ont allégué devant elle une violation de leur droit à une vie privée et familiale et du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en raison de la non-reconnaissance de la filiation de leur enfant en Italie et de son placement sous tutelle. Ils ne se sont pas plaints à la Cour au nom de l’enfant. Ils ont revendiqué leur « droit » à un enfant en vertu de la Convention, en utilisant abusivement à cette fin le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Concluant à une violation des droits des requérants au regard de l’article 8 de la Convention, la majorité de la Deuxième Section a établi qu’il existe entre le couple et l’enfant une vie familiale de facto, en raison des six mois passés ensemble en Italie et de quelques semaines en Russie. Concernant M. Campanelli, la Cour a décidé que sa demande à voir établi qu’il est le père génétique de l’enfant relève de sa vie privée en vertu de la Convention ((§§ 69-70). Dans leur opinion partiellement dissidente, les juges Raimondi et Spano ont considéré que dans son évaluation de l’existence d’une famille de facto ou d’une vie privée en vertu de la Convention, la Section aurait dû prendre en considération les circonstances particulières dans lesquelles l’enfant a été placé. Ils ont noté que la Convention ne peut pas protéger un acte illégal et contraire à l’ordre public (§ 3 de l’opinion dissidente). En effet, décider autrement constituerait un jugement extra legem de la Cour, qui serait difficile à exécuter une fois devenu définitif.

En outre, la Cour reconnaît la légalité et la légitimité du refus opposé par les autorités italiennes à l’enregistrement de l’acte de naissance étranger ainsi que du fait d’avoir retiré l’enfant aux requérants. Elle a considéré que les mesures étaient justifiées pour des raisons d’ordre public, puisque les actes des requérants entraient en conflit avec les dispositions sur l’adoption internationale et l’usage de la gestation pour autrui interdit en Italie, et que de telles mesures avaient pour but de protéger les droits et libertés de l’enfant (§ 73).

En examinant la nécessité des mesures, la Cour a reconnu la large marge d’appréciation des autorités nationales en ce qui concerne l’adoption et la garde d’un enfant (§ 74). En tenant compte des circonstances de l’affaire, la Cour a considéré que la stricte application du droit national pour déterminer la filiation de l’enfant et le refus de reconnaître la filiation établie en Russie étaient raisonnables (§ 77 in fine). Parmi ces circonstances, la Cour a énuméré : l’absence de lien génétique entre l’enfant et les requérants ; le vide juridique de la loi russe quant à la nécessité d’un lien génétique entre les parents « d’intention » et l’enfant en cas de gestation pour autrui ; le trafic entourant la naissance de l’enfant pratiqué par la société privée Rosjurconsulting et la participation des requérants à ce commerce – ils ont payé pour l’enfant, pour les gamètes/embryons qui provenaient d’inconnus, pour l’utilisation d’une mère porteuse qui a donné l’enfant aux requérants après l’accouchement et les a aidés à obtenir un acte de naissance– ; néanmoins, les lourdes conséquences pour les requérants, dont le second qui était de bonne foi, certain d’être le père biologique de l’enfant (§ 76).

Par ailleurs, la Cour a apprécié la proportionnalité des mesures prises concernant l’enfant (son retrait d’auprès des requérants et son placement), c’est-à-dire si l’intérêt supérieur de l’enfant y a alors été correctement pris en compte. Elle a noté que la mesure s’est imposée pour mettre un terme à une situation illégale dans laquelle les requérants se sont eux-mêmes placés en violant les lois relatives à l’adoption internationale et à la procréation médicalement assistée et par leur volonté de contourner le droit de l’adoption (§ 79). Toutefois, la Cour a indiqué que les considérations d’ordre public devraient être prises en compte conjointement avec l’intérêt supérieur de l’enfant et que la mesure extrême consistant à éloigner l’enfant de son environnement familial devrait n’être prise qu’en dernier ressort et justifiée seulement pour protéger l’enfant confronté à un danger immédiat (§ 80). Plus loin, citant sa jurisprudence, la Cour a donné quelques exemples de danger immédiat pour l’enfant – l’exposition à une situation de violence ou de maltraitance physique ou psychique, abus sexuels, déficit affectif des parents, incapacité des parents de garantir des conditions de vie adéquates (§ 80 in fine) –, en déclarant qu’en l’espèce les décisions prises par les autorités de retirer l’enfant aux requérant n’ont pas rempli les conditions requises (§ 81). La Cour reconnaît que la présente situation est sensible et que le retrait de l’enfant a été motivé par de graves soupçons tenant aux requérants. Elle se déclare néanmoins insatisfaite des décisions des tribunaux internes et considère que le développement d’un lien affectif plus fort entre l’enfant et ses parents « d’intention » (§ 82) et les graves soupçons pesant sur les requérants, en l’absence de condamnation pour infraction à la loi sur l’adoption (§ 83), ne suffisent pas pour prendre les mesures litigieuses.

Par ailleurs, la Cour a noté que l’enfant a reçu une nouvelle identité seulement en avril 2013, considérant « qu’il était inexistant pendant plus de deux ans » (§ 85). Et elle poursuit : « il est nécessaire qu’un enfant ne soit pas désavantagé du fait qu’il a été mis au monde par une mère porteuse, à commencer par la citoyenneté ou l’identité qui revêtent une importance primordiale (voir l’article 7 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant) » (§ 85). Ainsi la Cour a-t-elle relevé l’insuffisance  des éléments pris en compte par les autorités italiennes pour décider de retirer l’enfant aux requérants, en considérant qu’un juste équilibre n’a pas été préservé en l’espèce entre les différents intérêts en jeu (§ 86).

Finalement, en prenant en compte le fait que l’enfant a développé un lien émotionnel avec sa nouvelle famille depuis 2013, la Cour a indiqué que le constat de violation de la Convention n’implique pas pour l’Etat de remettre le mineur aux requérants (§ 88).

En ce qui concerne l’appréciation de la proportionnalité, les Juges dissidents Raimondi et Spano ont regretté que la majorité de la Deuxième Section n’ait pas pris en considération l’illégalité des actes des requérants (§ 3 in fine de l’opinion dissidente). En outre, en tenant compte des mêmes éléments que la majorité dans leur analyse de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure (§§ 8-12 de l’opinion dissidente), les Juges sont arrivés à une conclusion différente. Ils ont considéré qu’en substituant, sans raison, l’évaluation de la majorité de la Section à celle des juridictions internes, la Cour sape le principe de subsidiarité et la doctrine de la « quatrième instance » (§ 13 de l’opinion dissidente). Ils ont rappelé que dans de telles affaires où les tribunaux internes sont confrontés à des questions délicates tenant à la mise en balance des intérêts de l’enfant et de l’ordre public, la Cour devrait se limiter à apprécier si les décisions des juridictions internes sont arbitraires. Ils ont aussi considéré que les arguments développés par la Cour dans les paragraphes 82-84 pour constater une violation de l’Article 8 de la Convention ne sont pas convaincants. Au regard de l’absence d’établissement de l’identité de l’enfant avant 2013, ils ont considéré que cela n’a pas d’influence sur la situation des requérants mais que cela peut constituer un grief de l’enfant lui-même (§ 14 de l’opinion dissidente).

L’ECLJ espère que l’affaire sera renvoyée devant la Grande Chambre, puisqu’il s’agit d’un jugement extra legem et ultra vires. Il protège, aux termes de la Convention, une pratique illégale et contraire aux droits de l’homme, il impose aux Etats des obligations qu’ils n’ont pas contractées en vertu de la Convention et il porte atteinte au principe de subsidiarité.

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