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L'ONU s'élève contre l'euthanasie des personnes handicapées

Des Experts-ONU contre l'euthanasie

Par Claire de La Hougue1614162500518
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Dans un communiqué de presse du 25 janvier 2021, le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté et l'Expert indépendant chargé de promouvoir l'exercice par les personnes âgées de tous les droits de l'homme rappellent fermement que le handicap ne peut jamais justifier l'euthanasie ou le suicide assisté. Une telle prise de position conjointe est exceptionnelle. Les auteurs, des experts indépendants auxquels le Conseil des droits de l'homme a confié un mandat, sont des universitaires respectés et expérimentés[1].

Ils s'inquiètent de la tendance croissante à adopter des lois qui permettent l'accès à l'euthanasie sur des critères largement fondées sur le handicap, y compris le handicap lié à l'âge, alors que le handicap ne devrait jamais justifier que l'on mette fin à une vie humaine directement ou indirectement. Ils soulignent que mettre fin à ses jours parce qu'on souffre de son handicap ne serait pas plus sensé ni plus acceptable que d'y mettre fin en raison de son appartenance à n'importe quel autre groupe protégé, que ce soit en raison de sa race, de son sexe ou de son orientation sexuelle.

Ils affirment qu'en aucun cas une loi ne devrait considérer la décision de mettre fin à ses jours en raison d'un handicap comme prise librement et de façon éclairée, et qu'en aucun cas l’État ne devrait contribuer à l'exécution d'une telle décision. Une loi qui permet de mettre fin aux jours d'une personne qui n'est pas en fin de vie repose en réalité sur des présupposés que les experts qualifient en anglais de ableist, néologisme traduit au Canada par capacitistes : fondés sur la capacité de la personne. Une telle loi implique un jugement sur la qualité et la valeur de la vie d'une personne. Or la Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006, a définitivement rejeté les conceptions capacitistes et les stéréotypes qui y sont associés car le handicap n'est pas un déficit de la personne mais un aspect universel de la condition humaine. Par l'article 10 de cette convention, les États Parties ont réaffirmé que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et se sont engagés à prendre toutes mesures nécessaires pour en assurer aux personnes handicapées la jouissance effective, sur la base de l’égalité avec les autres. Leur condition de personne handicapée ne peut donc évidemment pas justifier une atteinte à leur vie.

Les experts observent d'autre part que, même lorsque l'euthanasie ou le suicide assisté sont limités aux personnes en fin de vie ou aux malades en phase terminale, les personnes âgées, les personnes handicapées et particulièrement les personnes âgées handicapées peuvent se sentir subtilement poussées à mettre fin prématurément à leurs jours par l'attitude de leur entourage ou par le manque de service et de soutien appropriés.

Ils soulignent ensuite que les personnes handicapées sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses à vivre dans la pauvreté, surtout dans certains pays. Des personnes souffrant d'un handicap condamnées à vivre dans la pauvreté et raison du manque de protection sociale peuvent décider par désespoir de mettre fin à leurs jours, mais une telle décision peut difficilement être qualifiée de libre et éclairée.

Enfin, les experts constatent que les personnes handicapées et leurs organisations représentatives ne sont généralement pas impliquées dans le processus législatif, alors que leur participation à l'élaboration des lois qui les concernent, notamment relatives à l'aide à mourir, constitue un élément déterminant de l'obligation des États de promouvoir et protéger le droit à la vie de chaque personne dans le respect de l'égalité.

Même si les experts ne le mentionnent pas, cette vigoureuse déclaration intervient alors que le Canada s'apprête à modifier sa loi sur la fin de vie. Le projet de loi C-7 sur l'aide médicale à mourir, déjà adopté par les députés, est actuellement devant le Sénat. En effet, en 2019, une juge de la cour supérieure du Québec a invalidé une disposition de la loi actuelle qui autorise l’aide à mourir uniquement pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible. Ce critère de mort imminente ayant été contesté par deux personnes qui souffraient de maladies dégénératives et invalidantes sans être en fin de vie, la juge a conclu que la restriction violait leurs droits à l’égalité de traitement devant la loi et à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (Truchon contre le Procureur général du Canada). Le gouvernement fédéral n'a pas fait appel, malgré la demande de dizaines d'associations de personnes concernées par le handicap[2]. Il a jusqu’au 26 février pour mettre la loi en conformité avec la décision. On peut au passage s'étonner de ce qu'un juge unique d'un tribunal de première instance puisse imposer le changement d'une loi démocratiquement adoptée.

Selon la presse canadienne, les trois experts ont écrit aux sénateurs canadiens pour leur rappeler que le handicap ne peut jamais justifier une euthanasie. Le précédent Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, Mme Catalina Devandas-Aguilar, en avril 2019, au retour de sa mission au Canada[3], s'était déjà dite extrêmement inquiète de la mise en œuvre de la loi sur l'aide médicale à mourir concernant les personnes handicapées, notamment du fait de l'absence d'alternative proposée, de pressions, du manque de soins palliatifs etc. L'Enquêteur correctionnel (ombudsman pour les délinquants sous responsabilité fédérale) s'est quant à lui alarmé, dans son rapport annuel de juin 2020, des cas d'euthanasie en prison et a demandé « un moratoire complet sur l’aide médicale à mourir à l’intérieur des pénitenciers fédéraux, sans égard aux circonstances[4] ». La Conférence des Évêques du Canada a lancé un appel pressant contre le projet de loi sur l'euthanasie et le suicide assisté[5], qui rencontre aussi une forte opposition des associations de personnes handicapées mais aussi de médecins, de juristes, des communautés religieuses etc.

Les experts des Nations unies observent les risques et les dérives inévitables de toute légalisation de l'euthanasie, en particulier la pression exercée même discrètement voire inconsciemment sur les personnes âgées ou invalides. Ils rejoignent en cela la préoccupation de l’Association Médicale Mondiale qui, réunie en assemblée générale en octobre 2019, après une large consultation sur tous les continents, a conclu : « L’AMM réitère sa ferme adhésion au principe d’éthique médicale du respect absolu de la vie humaine. C’est la raison pour laquelle elle s’oppose résolument à l’euthanasie et au suicide médicalement assisté[6] ».

Ils vont plus loin, replaçant le débat sur le terrain anthropologique. En effet, comme ils le font remarquer, une loi qui permet de mettre fin aux jours d'une personne qui n'est pas en fin de vie implique un jugement sur la qualité et la valeur de sa vie. Elle suppose que la valeur de la personne est liée à sa qualité de vie, à la perception qu'elle-même ou son entourage a de sa vie et à sa participation à la vie sociale. C'est une telle conception de l'homme dont la valeur serait donc subjective, arbitraire et changeante dans le temps qui fonde l'évolution constatée dans plusieurs pays, au premiers rang desquels la Belgique, les Pays-Bas et le Canada, mais aussi une certaine jurisprudence comme l'affaire Vincent Lambert en France, certaines décisions de la Cour européenne des droits de l'homme ou celle précitée de la cour supérieure du Québec.

Au contraire, pour l'anthropologie qui fonde la civilisation européenne et qui est rappelée dans chaque instrument international, la dignité est inhérente à tous les membres de la famille humaine, elle ne dépend donc pas de facteurs extérieurs et mouvants. La Convention relative aux personnes handicapées, après avoir rappelé ce principe fondamental énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, insiste en précisant que « toute discrimination fondée sur le handicap est une négation de la dignité et de la valeur inhérentes à la personne humaine » (préambule §8). Les experts se placent donc dans cette perspective classique.

Ils affirment également que le handicap est aspect universel de la condition humaine. Leur propos s'appuie sur la Convention relative aux droits des personnes handicapées qui énonce en son article 3 les principes sur lesquels elle est fondée, parmi lesquels le respect de la dignité intrinsèque des personnes et  « le respect de la différence et l’acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité ». L'emploi des termes « condition humaine » est cependant très remarquable en cette période où l'homme veut tout maîtriser et se croit maître même de la vie et de la mort, comme Pierre Simon qui considérait  la vie comme un « matériau » à « gérer ». La « condition humaine » suppose que l'homme est soumis à des circonstances ou des normes qui ne dépendent pas de lui, qu'il reçoit son existence. Les experts se placent donc résolument dans la perspective anthropologique classique, celle qui fonde non seulement toute la civilisation européenne mais aussi tout le système de protection internationale des droits de l'homme.

La déclaration des Experts accessible en anglais ici. Voici la traduction non-officielle :

Le handicap n'est pas une raison pour permettre l'assistance médicale à la mort - experts de l'ONU

GENÈVE (25 janvier 2021) - Les experts des droits de l'homme des Nations unies ont exprimé aujourd'hui leur inquiétude face à une tendance croissante à promulguer des lois permettant l'accès à l'assistance médicale à la mort, fondée en grande partie sur le fait d'avoir un handicap ou des conditions invalidantes, y compris dans la vieillesse.

"Nous acceptons tous que ne pourrait jamais être un choix raisonné la décision d'une personne appartenant à un autre groupe protégé - qu'il s'agisse d'une minorité raciale, de genre ou sexuelle - de mettre fin à sa vie parce qu'elle souffre de son statut", ont déclaré les experts.

"Le handicap ne devrait jamais être un motif ou une justification pour mettre fin à la vie de quelqu'un, directement ou indirectement".

De telles dispositions législatives institutionnaliseraient et autoriseraient légalement le validisme, et violeraient directement l'article 10 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui exige des États qu'ils veillent à ce que les personnes handicapées puissent effectivement jouir de leur droit inhérent à la vie sur la base de l'égalité avec les autres.

Les experts ont déclaré que lorsque les interventions de fin de vie sont normalisées pour les personnes qui ne sont pas en phase terminale ou qui ne souffrent pas en fin de vie, ces dispositions législatives ont tendance à reposer sur - ou à s'appuyer sur - des présupposés validistes concernant la "qualité de vie" ou la "valeur" inhérente à la vie d'une personne handicapée.

"Ces hypothèses, qui sont fondées sur le validisme et les stéréotypes associés, ont été rejetées de manière décisive par la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Le handicap n'est pas une charge ou un déficit de la personne. C'est un aspect universel de la condition humaine.

"En aucun cas, la loi ne devrait prévoir que la décision d'une personne handicapée qui n'est pas mourante de mettre fin à sa vie avec le soutien de l'État puisse être motivée".

Les experts ont déclaré que même lorsque l'accès à l'assistance médicale à la mort est limité aux personnes en fin de vie ou atteintes d'une maladie terminale, les personnes handicapées, les personnes âgées, et en particulier les personnes âgées handicapées, peuvent se sentir subtilement poussées à mettre fin à leur vie prématurément en raison de barrières comportementales ainsi que du manque de services et de soutien appropriés.

"La proportion de personnes handicapées vivant dans la pauvreté est sensiblement plus élevée, et dans certains pays, le double, que celle des personnes non handicapées", ont-ils déclaré. "Les personnes handicapées condamnées à vivre dans la pauvreté en raison de l'absence de protection sociale adéquate peuvent décider de mettre fin à leur vie dans un geste de désespoir. Face à l'héritage des désavantages accumulés, on peut difficilement dire que leur "architecture de choix" ne pose pas de problème".

Les experts ont également exprimé leur inquiétude quant au manque d'implication des personnes handicapées, ainsi que des organisations qui les représentent, dans l'élaboration d'une telle législation. "Il est primordial que les voix des personnes handicapées de tous âges et de tous horizons soient entendues lors de l'élaboration des lois, des politiques et des règlements qui concernent leurs droits, et en particulier lorsque nous parlons du droit à la vie", ont-ils déclaré.

"Veiller à ce que les personnes handicapées et les organisations qui les représentent participent de manière significative aux processus législatifs clés qui les concernent, notamment en ce qui concerne l'assistance à la mort, est un élément clé des obligations des États de promouvoir, protéger et réaliser les droits de l'homme et de respecter le droit de chacun à la vie sur une base d'égalité".

FIN

Les experts* : Gerard Quinn, Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées ; Olivier De Schutter, Rapporteur spécial sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté ; et Claudia Mahler, Experte Indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme

Les rapporteurs spéciaux font partie de ce que l'on appelle les Procédures Spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les Procédures Spéciales, le plus grand organe d'experts indépendants du système des droits de l'homme des Nations unies, est le nom général des mécanismes indépendants d'enquête et de suivi du Conseil qui traitent soit de situations spécifiques à des pays, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.

___

[1] Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, le Professeur Gerard Quinn, irlandais, enseigne dans les universités de Lund en Suède et de Leeds au Royaume-Uni après avoir été professeur à l'Université nationale d'Irlande, membre de la Commission sur le statut des personnes handicapées, de la Commission des droits de l'homme et du Conseil d’État dans son pays d'origine. Le Professeur Olivier De Schutter, belge, est Rapporteur spécial sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté  depuis mars 2020, après avoir été Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation puis membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Il est professeur à l'Université catholique de Louvain et à Science-Po Paris. Quant à l'Expert indépendant chargé de promouvoir l'exercice par les personnes âgées de tous les droits de l'homme, l'universitaire autrichienne Claudia Mahler, après avoir enseigné à l'université de Potsdam elle est devenue membre du Deutsches Institut für Menschenrechte, l'équivalent allemand de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, chargé entre autres du suivi de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

[2] https://inclusioncanada.ca/2019/10/04/advocates-call-for-disability-rights-based-appeal-of-the-quebec-superior-courts-decision-in-truchon-gladu/ 

[3] https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24481&amp%E2%80%89;%20LangID%20=%20E 

[4] https://www.oci-bec.gc.ca/cnt/rpt/annrpt/annrpt20192020-fra.aspx?pedisable=true#s3 

[5] https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/ferme-opposition-eveques-canadiens-projet-loi-leuthanasie-suicide-assiste-2020-11-25-1201126546 

[6] https://www.wma.net/fr/news-post/lassociation-medicale-mondiale-reaffirme-son-opposition-a-leuthanasie-et-au-suicide-medicalement-assiste/ 

Pour la protection de toute vie humaine
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