Editorial paru dans Valeurs actuelles du 5 décembre 2019
Deux procédures initiées avant la mort de Vincent Lambert sont encore en cours. L’une contre le Dr Sanchez, devant le tribunal correctionnel de Reims ; l’autre contre la France, auprès du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU. Ces procédures méritent d’être menées à leur terme car, depuis la mort de Vincent Lambert, les témoignages d’euthanasies forcées affluent, mais aussi parce que les questions les plus importantes restent en suspens.
L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation
La loi Léonetti a été votée avec l’idée qu’elle ne s’appliquerait qu’aux cas désespérés où l’alimentation et l’hydratation du patient en fin de vie ne font qu’empirer sa situation. Or, ce texte a été appliqué au-delà, à un patient qui n’était pas en fin de vie, et qui ne souffrait pas d’être alimenté. Il a été mis en œuvre dans un but euthanasique ; et les instances françaises l’ont accepté.
À ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne s’est pas prononcée sur ce point. Elle s’est contentée de détourner le regard au motif qu’il n’y aurait pas de consensus sur cette question en Europe. Elle tolère ainsi une pratique qualifiée d’homicide volontaire par certains Etats membres... Etonnamment, la CEDH a omis de mentionner le texte international de référence: la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui interdit pourtant aux États « tout refus discriminatoire de fournir des soins ou services médicaux ou des aliments ou des liquides en raison d’un handicap ». Bien que ratifié par la France, aucun juge n’a appliqué ce texte à ce jour. C’est pourquoi les parents Lambert ont saisi le Comité pour les droits des personnes handicapées de l’ONU, afin qu’il constate que la France a manqué à son obligation et confirme, comme précédemment déjà, que « le droit à la vie est absolu et que la prise de décisions substitutive quant à l’arrêt ou la suspension d’un traitement essentiel au maintien de la vie n’est pas compatible avec ce droit » (2011).
Les conditions de la mort de Vincent Lambert
Il faut le dire, les conditions de la mort de Vincent Lambert ont été particulièrement pénibles. Selon l’avocat des parents, il a passé « neuf jours à suffoquer, à râler, à gémir, tout en ouvrant les yeux. Il est mort seul, comme on n’accepterait pas que meure un chien ». Cette agonie était prévisible ; car c’est ainsi que l’on meurt de soif. Elle fut déjà dénoncée en 2015 devant la Cour européenne qui est si prompte, habituellement, à condamner de tels traitements inhumains. Mais, ici encore, cette Cour détourna le regard et s’abstint de tout jugement. Elle déclara, de façon scandaleuse, que les parents ne pouvaient pas invoquer au bénéfice de leur fils l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Circulez, il n’y a rien à voir…
Maintenant, c’est devant le Tribunal correctionnel et le Comité des Nations unies que le Dr Sanchez et le Gouvernement devront répondre de cette mort indigne. Car, sur ce point comme sur d’autres, le texte de la Convention de l’ONU condamne l’action des autorités françaises. Il interdit la maltraitance et les traitements inhumains ou dégradants et fait obligation aux États de fournir « aux personnes handicapées les services de santé dont celles-ci ont besoin en raison spécifiquement de leur handicap ».Or, Vincent Lambert était privé depuis 2015 des soins ordinaires dont bénéficient pourtant toutes les personnes dans son état, tels que la kinésithérapie.
Ces instances devraient aussi se prononcer sur l’enfermement « sous clef » de ce patient dans une unité de soins palliatifs inadaptée à son état, ainsi que sur le refus de le transférer dans un établissement spécialisé où il aurait été traité dignement.
L’autorité des mesures conservatoires.
Le Comité de l’ONU a demandé à la France, à trois reprises, de ne pas laisser mourir M. Lambert. En vain. Le Gouvernement prétendait ne pas avoir l’obligation de respecter ces demandes. La Cour de cassation a fait le tour de force de casser l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui les déclarait obligatoires, tout en évitant de se prononcer sur leur portée juridique ! Quant à la CEDH, elle botta en touche, une fois encore, au plus vite. C’est ainsi, que M. Lambert pût être sédaté jusqu’à ce que mort s’ensuive, en violation de la demande de l’ONU. Sur ce point, il ne fait guère de doute que la France sera condamnée par l’ONU. C’est dans l’immédiat au Tribunal correctionnel de se prononcer. Comme l’a reconnu le procureur de la République à l’audience du 26 novembre, si les mesures provisoires sont obligatoires, alors le Dr Sanchez a effectivement commis un délit.
Bien sûr, le Gouvernement invoque, tant qu’il peut, des arguments de procédure pour échapper au jugement de l’ONU, car l’enjeu de l’affaire est de taille. Il doit non seulement répondre des mauvais traitements et de la mort infligés à M. Lambert, mais c’est aussi la loi française qui sera jugée, en ce qu’elle permet l’euthanasie déguisée des personnes handicapées.