Condamnée pour avoir protégé ses frontières : la Hongrie face à une CEDH de plus en plus intrusiveGradient Overlay
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Condamnée pour avoir protégé ses frontières : la Hongrie face à une CEDH de plus en plus intrusive

La Hongrie encore condamnée pour avoir protégé ses frontières

Par ECLJ1752591582827
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Une nouvelle condamnation pour la Hongrie est tombée le 24 juin 2025. La Cour européenne des droits de l’homme reproche le refoulement de trois migrants à la frontière serbo-hongroise. Dans l’arrêt H.Q. et autres c. Hongrie, la Cour condamne la mise en œuvre de procédures d’expulsion collective, entravant une fois encore le droit des États membres à contrôler souverainement leurs frontières.

Les trois requérants, Afghans et Syriens, qui ont saisi séparément la Cour, se trouvaient en situation irrégulière sur le sol hongrois. En effet, Le premier, H.Q, arrivé légalement en Hongrie en 2018, avait vu sa demande d’asile refusée par la Direction générale nationale de la police des étrangers (DGNPA) en 2021, après expiration de son visa étudiant. Les deux autres, Z.A. et A.S.A sont entrés illégalement en Hongrie respectivement en février 2022 puis juillet 2022. Ils avaient été victimes d’accidents de la route après leur passage clandestin de la frontière serbo-hongroise grâce à des passeurs. Chacun a reçu des soins à l’hôpital, où Z.A. et A.S.A. auraient formulé le souhait de demander l’asile en Hongrie, pour échapper à des persécutions à Alep et en Afghanistan. Le jour de leur sortie de l’hôpital, en avril et juillet 2022, ils ont été reconduits par la police à la frontière serbo-hongroise avec d’autres hommes arabophones, comme l’a également été H. Q. Ils ont reçu l’ordre de gagner la sortie de la zone de transit et de retourner sur le territoire de la Serbie et sont retournés sur le territoire par lequel ils étaient entrés illégalement en Hongrie.

L’obligation d’accueillir des illégaux

La Cour conclut à une violation de l’interdiction des expulsions collectives d’étrangers, mentionnée à l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle condamne la Hongrie au versement de 23 000 euros pour dommage moral, ainsi que 8 000 euros pour frais et dépens. Cet article, ainsi que son interprétation dynamique par la CEDH, empêchent les États d’adopter des politiques souveraines et dissuasives en matière de gestion des flux migratoires et désarme juridiquement les autorités dans leurs tentatives de maitrise des frontières. En effet, de jurisprudence constante (Khlaifia et autres c. Italie [GC], 2016, Shahzad c. Hongrie, 2021 etc.) la Cour condamne le refoulement ou l’expulsion des personnes en situation irrégulière, comme c’est le cas dans l’arrêt H.Q. et autres c. Hongrie. Selon la Cour, chaque migrant arrivé sur le territoire national doit voir sa demande d’asile étudiée individuellement avant d’être renvoyé, malgré sa situation potentiellement irrégulière (N.D. et N.T. c. Espagne, 2020). Cela même s’il n’a pas amorcé de procédure d’asile, car il suffit pour le migrant d’avoir mentionné son souhait de demander l’asile. Une telle interdiction formelle des expulsions collectives, même dans des contextes de pression migratoire extrême ou de sécurité nationale, contribue à déséquilibrer la stabilité des États membres au profit d’une protection quasi absolue des étrangers. En pratique, la CEDH tend à transformer des situations de séjour irrégulier en quasi-droits au séjour, contribuant à une forme de juridictionnalisation au détriment de l’ordre public et de la souveraineté étatique.

En outre, la procédure de demande d’asile en Hongrie ne se fait pas sur le territoire national hongrois. Qui cherche à obtenir l’asile en Hongrie doit en effet suivre la procédure dite « de l’ambassade » et déposer sa demande d’asile à l’ambassade hongroise à Belgrade. Ainsi, il parait logique que les migrants entrés illégalement en Hongrie et prétendant y demander l’asile soient reconduits en Serbie, où doit se dérouler la procédure. Cela s’inscrit dans une politique d’externalisation des frontières qui pourrait permettre un tri plus efficace des migrants en déléguant aux pays tiers la gestion des flux migratoires en amont du territoire européen, limitant ainsi les arrivées irrégulières et facilitant le traitement différencié entre réfugiés et migrants économiques.

La Hongrie et les États membres dépossédés de leur politique migratoire

La politique migratoire hongroise se fonde sur un contrôle strict des frontières, qui s’explique par la position historique et géographique qui fait de la Hongrie un État clef sur la route migratoire des Balkans et une frontière pour le reste Europe. Elle est l’un de premiers pays d’arrivée des migrants dans l’UE avant qu’ils ne se répartissent dans divers pays aux systèmes de protection sociale plus favorables aux étrangers. De ce fait, cette nation tient un rôle de garde-frontière pour le reste de l’Europe, et le prend à cœur. La politique migratoire hongroise demeure marquée par le souvenir de la submersion migratoire de 2015-2016, qui a vu plus de 400 000 migrants traverser la Hongrie en direction de l’Europe de l’Ouest et du Nord. Ce phénomène a laissé entrevoir l’important facteur de déstabilisation interne comme externe constitué par ces mouvements de populations d’une si grande importance et de cultures si différentes, et parfois antagonistes.

Les institutions européennes, notamment la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne, ont à plusieurs reprises sanctionné la Hongrie pour sa politique migratoire jugée non conforme au droit de l’UE, en particulier en matière d’accès à la procédure d’asile et de refoulements aux frontières. Dans un arrêt particulièrement sévère de juin 2024, la CJUE a notamment infligé à la Hongrie une amende de 200 millions d’euros avec astreinte d’un million d’euros par jour de retard pour non-exécution d’un arrêt antérieur relatif à l’accueil des demandeurs d’asile. Cette somme colossale illustre la pression qu’exercent les institutions européennes pour entraver la politique migratoire souveraine de la Hongrie, pour laquelle ne comptent pas seuls les droits des migrants mais d’abord la sécurité nationale et européenne. La Cour européenne des droits de l’homme, quant à elle, a également condamné la Hongrie dans plusieurs affaires récentes, comme R.R. et autres c. Hongrie (2021) ou M.A. c. Hongrie (2023), confirmant une prise en tenaille de la Hongrie. Un acharnement qui pourrait être motivé en arrière-plan par la réprobation constante de Bruxelles envers les choix politiques conservateurs du gouvernement hongrois.

Cette sévérité ne se limite toutefois pas à la Hongrie : d’autres États confrontés à des flux migratoires importants, tels que la Pologne, sont fréquemment condamnés par la CEDH, comme dans l’affaire D.A. et autres c. Pologne (2022), où la Cour a reproché le refoulement de ressortissants étrangers à la frontière biélorusse sans examen individuel. Cette accumulation de condamnations contre des États adoptant une approche souveraine et sécuritaire de la gestion des frontières laisse apparaître une forme de contentieux structurel, où la logique de protection individuelle tend à primer systématiquement la légitimité des États à faire prévaloir l’intérêt national, l’ordre public et la maîtrise de leur politique migratoire.

Ces nombreuses condamnations pour des mesures visant à contrôler les flux migratoires fragilisent la capacité des États à mettre en œuvre des politiques migratoires cohérentes, sécuritaires, et efficaces. Face à cette situation, neuf États européens, dont l’Autriche, la Pologne et l’Italie, ont adressé en mai 2025 une lettre au Conseil de l’Europe[1], exprimant leur préoccupation quant à l’interprétation extensive des droits des migrants par la CEDH. Ils y dénoncent une ingérence croissante dans les politiques migratoires nationales et appellent à un rééquilibrage entre la protection des droits individuels et le respect de la souveraineté des États en matière de gestion des frontières.

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[1]Philippe Jacqué, « Immigration : neuf pays européens veulent affaiblir la Cour européenne des droits de l’homme », Le Monde, 24 mai 2025

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