CEDH

L’Allemagne jugée pour avoir retiré la garde d’enfants scolarisés à domicile

L'Allemagne et l'école à la maison

Par Grégor Puppinck1482160639672
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Photo : Signature de la Convention européenne des droit de l'homme à Rome en 1950.

Dans une affaire Wunderlich c. Allemagne (n° 18925/15), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est appelée à juger l’Allemagne pour avoir retiré des enfants de la garde de leurs parents au motif que ceux-ci souhaitaient assurer eux-mêmes l’instruction de leurs enfants à domicile, ce qui est interdit dans ce pays.

L’ECLJ a été autorisé par la Cour à intervenir dans cette affaire et à lui soumettre des observations écrites.

L’Allemagne, avec la Turquie, est l’un des rares pays européens à interdire absolument le préceptorat ou l’éducation à domicile. Cette interdiction absolue a été précédemment admise par la CEDH notamment dans la décision Konrad c. Allemagne du 11 septembre 2006 (n° 35504/03), introduite par une famille chrétienne voulant élever ses enfants à la maison. La Cour avait alors posé une interprétation très étatiste du droit à l’éducation en jugeant « conforme à sa propre jurisprudence sur l’importance du pluralisme pour la démocratie » le fait d’imposer une scolarisation collective et d’interdire l’éducation à domicile en raison de « l’intérêt général de la société d’éviter l’émergence de sociétés parallèles basées sur des convictions philosophiques distinctes, et [de] l’importance d’intégrer les minorités dans la société. »

Les faits de la présente affaire sont plus graves que dans l’affaire Konrad, car les enfants ont été physiquement retirés de la garde de leurs parents. À l’origine de la présente affaire est le choix de parents allemands, Dirk et Petra Wunderlich qui, de retour en Allemagne après avoir vécu dans plusieurs pays européens, ont souhaité continuer d’instruire à domicile leurs quatre jeunes enfants. Sachant que l’instruction à domicile est interdite en Allemagne depuis une loi de 1918, ils ont sollicité un entretien auprès de l’autorité scolaire pour obtenir leur accord. Le bureau de l’aide sociale, de la protection de la jeunesse et de l’assistance aux familles (Jugendamt) a refusé de recevoir la famille et a immédiatement introduit une action en justice contre les parents pour « mise en danger des enfants ». Peu après, sur décision de justice, les parents se sont vu retirer leurs droits parentaux. Craignant que les parents « fuient » avec leurs enfants en France, pays où l’éducation à domicile est permise, les autorités allemandes, par l’intervention d’une trentaine de policiers et de sept membres des services sociaux, vinrent au domicile des Wunderlich, retirèrent physiquement les enfants et les placèrent dans un foyer le 29 août 2013.

Les parents Wunderlich n’ont pu retrouver l’exercice de leurs droits parentaux qu’après une longue et difficile procédure de plus de trois ans. Les enfants furent séparés de leurs parents pendant près d’un mois. Il s’est avéré que les enfants n’étaient nullement en danger, qu’ils étaient bien instruits et équilibrés.

Le 14 avril 2015, la famille Wunderlich a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour se plaindre notamment de la violation de leur vie privée et familiale (article 8) ainsi que du droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques (article 2 du 1er protocole).

 

Le Centre européen pour le droit et la justice intervient dans cette affaire au soutien de la responsabilité naturelle et première des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants

Dans ses observations, l’ECLJ rappelle que les parents ont la responsabilité naturelle de leurs enfants, ce qui leur confère un droit prioritaire par rapport à l’Etat d’assurer leur éducation et enseignement conformément à leurs convictions. Ce sont bien les parents qui engendrent leurs enfants et qui sont à ce titre les premiers responsables de l’éducation et du bien-être de leurs enfants. L’État doit les assister dans cette mission et veiller à ce que les enfants ne soient pas privés d’instruction. Le cas échéant, il doit alors suppléer aux carences des parents.

Pour s’opposer à l’interprétation étatiste du droit à l’instruction retenue par la Cour dans l’affaire Konrad, l’ECLJ revient dans ses observations sur la nature des relations entre les familles et l’Etat, en montrant que les rédacteurs de la Convention ont voulu, après la Seconde Guerre mondiale, restaurer l’ordre naturel pour refonder la démocratie. Pour cela, ils ont clairement opté pour une compréhension subsidiaire, plutôt qu’étatiste, de la société. À cette fin, ils ont voulu replacer la personne - dans toutes ses dimensions sociales et naturelles - comme centre et finalité de la société et de l’Etat. Ils ont voulu garantir les personnes et les familles contre l’Etat. Durant la rédaction de la Convention, les diplomates, députés et fonctionnaires du Conseil de l’Europe se sont souvent exprimés en ce sens. Ils étaient conscients du fait que « les régimes totalitaires (…) cherchent à soumettre les enfants à leur propagande idéologique systématique pour les soustraire à l’influence légitime des parents »[1] et qu’il faut garantir les droits familiaux et parentaux pour « parer à ce terrible danger du totalitarisme » qui conduit à rendre « impossible aux parents d’élever leurs enfants dans leurs convictions religieuses et philosophiques »[2].

Le droit des parents d’éduquer et enseigner leurs enfants conformément à leurs convictions est qualifié par les auteurs de la Convention de droit « naturel », « élémentaire », « fondamental » « inné », ou encore de « prioritaire » ; il protège la responsabilité/liberté des parents contre l’Etat, mais n’institue pas cette liberté en elle-même ni ne la concède « ce n’est pas une faveur »[3], mais « un droit naturel que personne, sinon un autocrate, n’a le droit de contester »[4]. Ce droit, il faut le garantir « contre la menace de nationalisation, d’étatisation, d’accaparement, de réquisition de la jeunesse par l’État »[5], comme le souligne alors l’éminent juriste français Pierre-Henri Teitgen.

A la lumière des travaux préparatoires, l’ECLJ souligne que si l’article 2 du protocole 1er ne reconnaît pas explicitement le droit des parents d’assurer eux-mêmes l’éducation et l’enseignement de leurs enfants pas plus que le droit de fonder des écoles privées, il ne l’exclut pas, au contraire, il le présuppose largement. En effet, l’article 2 du protocole 1er a pour objet de garantir la liberté des parents et d’imposer à l’Etat l’obligation négative de respecter cette liberté. Cette disposition ne définit donc pas les limites maximales à la liberté des parents, mais les limites minimales que l’Etat doit respecter : le respect des convictions des parents. Il serait absurde de se demander si l’article 2 du protocole 1er prescrit une obligation positive pour l’Etat d’autoriser le préceptorat ou les écoles privées, car il contient essentiellement et implicitement l’obligation négative de ne pas s’y opposer, car la liberté éducative des parents est un droit premier, prioritaire sur celui de l’État. Plus encore, ce droit impose à l’Etat de respecter les convictions des parents lorsqu’il assume lui-même des fonctions dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement.

Enfin, la limite au droit des parents, ainsi qu’à celui de l’Etat, consiste dans le droit de l’enfant à ne pas être privé d’instruction.

En conclusion, l’ECLJ estime que dans l’affaire Wunderlich, il est possible de conclure à la violation de la Convention sans qu’il soit nécessaire d’affirmer que les Etats ont l’obligation inconditionnée de permettre le préceptorat. Il suffit de considérer que l’Allemagne n’avait pas de motif suffisant en l’espèce, au regard de l’intérêt de l’enfant et en particulier de son droit à l’instruction, pour retirer les enfants de la garde de leurs parents ; cette mesure étant manifestement disproportionnée.

Pour l’ECLJ, l’essentiel est de réaffirmer le principe libéral et de droit naturel de la primauté de la famille sur l’Etat, en particulier dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement. Si la Cour devait se prononcer sur le fondement du principe inverse, elle prendrait place aux côtés des étatismes et des totalitarismes. Le libéralisme repose sur la confiance envers les personnes et la méfiance envers l’Etat ; le totalitarisme repose sur le choix inverse.

 

[1] Comité Directeur des droits de l’homme, dans son Rapport au Comité des Ministres, Travaux préparatoires, p. 53.

[2] Député Maxwell Fyfe, UK, Séance de l’Assemblée du 25 août 1950.

[3] Député Pernot, France Travaux préparatoires, p. 185.

[4] Professeur Boggiano Pico, député italien, Travaux préparatoires p. 189

[5] Pierre-Henri Teitgen, Rapporteur de la Commission des Questions Juridiques, Travaux préparatoires, p. 195.

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